La BFPME vient de publier des comptes plombés par des pertes abyssales et un rapport des commissaires aux comptes accablant. Radiations douteuses, inventaire incomplet, provisions incertaines : la banque est en faillite technique. Symbole des défaillances structurelles des banques publiques, elle illustre l'échec d'un modèle, à l'opposé des performances éclatantes du secteur privé. Il y a des chiffres qui parlent d'eux-mêmes. La Banque de financement des petites et moyennes entreprises (BFPME) a bouclé l'année 2024 avec 13,1 millions de dinars de pertes et des capitaux propres négatifs de 53 millions. Plus grave encore, près de 93 % de son portefeuille de crédits est classé douteux. Une faillite technique à peine voilée, confirmée par des commissaires aux comptes qui viennent d'émettre un rapport accablant, rendu public mercredi 27 août. On note que le rapport des commissaires aux comptes et les états financiers ont été publiés avec un retard de plus de trois mois. Le rapport des commissaires aux comptes, Khaled Thabet et Zouhaier Marghli, est sans concession. Ils relèvent d'abord l'absence d'un inventaire finalisé des actifs et des garanties. Un groupement de cabinets a bien été mandaté en décembre 2024 pour dresser la liste des immobilisations, du portefeuille d'effets de commerce et des garanties reçues des clients. Mais au moment de la clôture des comptes, aucun rapport définitif n'avait été transmis, et le Conseil d'administration ne s'était pas prononcé sur les ajustements comptables à opérer. Résultat : impossible de mesurer l'impact réel sur les résultats et les capitaux propres. Une banque qui avance ses bilans sans savoir ce qu'elle détient : l'image est désastreuse.
Des créances radiées à la légère Autre grief : la radiation de créances. En 2024, la BFPME a effacé 5,17 millions de dinars correspondant à quatorze prêts accordés à neuf clients. Mais, notent les CAC, les dossiers ne prouvent pas que toutes les voies de recours ont été épuisées. Plus grave, deux créances radiées en 2022 ont dû être réintégrées pour près de 340.000 dinars. Des radiations trop faciles, suivies de réintégrations a posteriori : autant dire un recouvrement erratique qui mine la crédibilité de l'institution. Les commissaires s'alarment aussi de la fragilité des provisions et du manque de maîtrise des garanties. La banque déduit en effet ses risques sur la base des garanties SOTUGAR et des hypothèques reçues, mais sans outils fiables de suivi : ni état complet des dossiers en contentieux, ni suivi précis des demandes de remboursement adressées à la SOTUGAR, ni suivi clair des avances et pertes finales. En clair, on déduit des garanties que l'on ne sait pas tracer. Avec un portefeuille classé à 93 %, l'alerte est sérieuse : les provisions pourraient être largement insuffisantes. Enfin, les CAC s'attardent sur la reconnaissance du produit bancaire. Dans un contexte où la quasi-totalité des crédits est classée, la prise en compte des intérêts et commissions comme revenus interroge. Ils ont dû étendre leurs vérifications pour s'assurer du respect des règles de comptabilisation et de l'exhaustivité des informations. Autrement dit, même les revenus affichés sont sous tension. En résumé, les réserves de MM. Thabet et Marghli dessinent une banque qui ne maîtrise ni son inventaire, ni son recouvrement, ni ses provisions. Les comptes 2024 n'offrent qu'une image incomplète, et probablement embellie, d'une institution au bord de la rupture.
Le miroir des banques publiques La BFPME n'est pas une exception : elle incarne le mal endémique des banques publiques tunisiennes. La STB, qui a fièrement annoncé 63,6 millions de bénéfices en 2024, doit en réalité ses résultats à des reprises de provisions, des radiations massives et un redressement fiscal opportun. Ses créances classées culminent à 23 %, loin des normes de la Banque centrale. La BNA affiche, elle, 213 millions de dinars de bénéfices, mais son portefeuille est plombé par l'Office des céréales, dont les dettes atteignent 5,5 milliards, soit 32 % de ses engagements. Derrière des bilans flatteurs, ces banques financent à perte les entreprises publiques déficitaires. La BFPME, elle, n'a même plus la force de masquer ses pertes : elles apparaissent brutes et crues.
Quand le privé montre la voie
Le contraste avec les banques privées est brutal. BIAT, Amen Bank, Attijari, UBCI, BT, Wafa Bank et autres publient des résultats solides, distribuent des dividendes, respectent les normes de solvabilité et inspirent la confiance des investisseurs et des clients. Même les banques islamiques, comme Wifak Bank, dégagent des bénéfices réguliers. La démonstration est claire : la rentabilité est possible dans le contexte tunisien, à condition d'avoir une gouvernance rigoureuse et de ne pas céder aux pressions de l'Etat. Comme si cela ne suffisait pas, la BFPME aligne une absurdité supplémentaire. Son directeur général touche 8.000 dinars par mois, soit plus de deux fois moins que ses homologues des autres banques publiques et plus de dix fois moins que les patrons de banques privées. Pire : il n'a droit qu'à 12 salaires annuels, quand la convention collective en prévoit 16 pour l'ensemble du secteur. Avec un salaire aussi bas, difficile de s'attendre à ce que la motivation et l'engagement soient au rendez-vous. Une anomalie qui illustre le désordre managérial et la fragilité d'une institution où même le capitaine est sous-payé et démotivé
La faillite d'un modèle La BFPME n'est donc pas seulement une banque en crise : elle est le symbole d'un système entier qui dysfonctionne. Entre bilans maquillés, créances irrécouvrables, financements politiques et gouvernance approximative, les banques publiques tunisiennes apparaissent comme des vestiges d'un modèle révolu. Pendant ce temps, le privé prospère. La question n'est plus financière, elle est politique : pourquoi maintenir en vie ces institutions qui échouent là où le privé réussit ? Tant que cette interrogation restera sans réponse, la BFPME demeurera l'incarnation d'un naufrage silencieux. Et les contribuables, eux, continueront d'en payer le prix.
Raouf Ben Hédi
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