Deux parlementaires américains, cherchant visiblement à se donner une visibilité et surfant sur la vague du populisme qui frappe de plein fouet les Etats-Unis et le reste du monde, ont annoncé leur intention de présenter au Sénat de leur pays un projet de loi sur la restitution de la démocratie en Tunisie. Cela aurait pu passer inaperçu compte tenu du peu d'influence de ces deux députés au sein de leurs partis politiques respectifs et de leur renommée sulfureuse. Au mieux, cela aurait pu passer dans la rubrique des faits divers. Au contraire, chez nous, nous en avons fait une affaire autour de laquelle il y a eu beaucoup d'effervescence. En réalité, cette effervescence cache mal le malaise profond que vit la Tunisie depuis quelques années, l'aridité de son paysage politique ainsi que la volonté presque commune de son élite d'éviter le débat de fond et d'esquiver de poser les véritables questions en rapport avec le processus démocratique dans notre pays. Les Etats-Unis, une puissance sans scrupules Nul doute que les Etats-Unis sont une superpuissance qui ne rechigne pas à le montrer, à exercer sa puissance et à en profiter dans ses rapports avec les pays du reste du monde. L'actuel président américain Donald Trump est une caricature d'une Amérique insolente et désinvolte. Mais ses prédécesseurs n'ont rien à lui envier : ils ont créé le camp de Guantanamo, été les instigateurs de plusieurs coups d'Etat réussis ou échoués à Cuba, au Nicaragua, au Chili, au Salvador, au Tchad, en Somalie, etc. Ils ont fait la guerre en Afghanistan et au Yémen, envahi l'Irak et assassiné des dirigeants politiques un peu partout dans le monde. Du point de vue du droit international, les Etats-Unis sont un pays hors la loi. Du point de vue du droit humanitaire, leur condamnation ne fait aucun doute. Il n'est donc pas étonnant que deux parlementaires de cet Etat voyou se permettent de s'ingérer dans les affaires internes d'un pays tiers, le nôtre dans le cas d'espèce. Ils traduisent par leur initiative le rapport de force réel sur le plan international, qui fait de leur pays le seul gendarme du monde depuis la fin de la guerre froide il y a presque quatre décennies. Un émoi tunisien disproportionné Nos élites effarouchées auraient donc dû tempérer leur émoi, donner à cette initiative sa juste valeur sans plus et accepter les revers d'une mondialisation qui n'a épargné personne et a touché tous les pays, de gré ou de force, depuis les années 70 du siècle passé. L'une des implications majeures de cette mondialisation est l'évolution de beaucoup de notions de base de la politique internationale, notamment le concept de souveraineté nationale dont la signification et le champ ont tellement rétréci au point de rendre le concept caduc ou presque. D'ailleurs, profitant de ce concept de la mondialisation, ces élites tunisiennes ne se sont jamais privées de critiquer, à raison le plus souvent, la politique hégémonique des Etats-Unis ainsi que ses agissements de malfrats sur la scène internationale. Les vrais débats évités Seulement, l'effarement de nos élites cache mal leur volonté d'éviter d'engager un débat de fond sur la transition démocratique et l'état des droits de l'Homme ainsi que des libertés publiques et privées en Tunisie. Certains ont fait ce choix par opportunisme, d'autres par crainte de représailles, d'autres par dépit. Cet effarement leur permet d'esquiver les questions de fond : pourquoi le processus démocratique a-t-il été stoppé depuis le 25 juillet 2021 ? pourquoi l'expression a-t-elle été bâillonnée ? pourquoi la pluralité est-elle devenue subversive ? pourquoi des intellectuels, des dirigeants politiques et des militants de la société civile se trouvent-ils depuis de longs mois en prison ? pourquoi la justice n'est-elle pas indépendante et pourquoi les institutions constitutionnelles ne sont-elles pas encore mises en place ?
À défaut d'engager ce débat de fond et de chercher les réponses aux questions qui dérangent ou qui fâchent, l'effarement de nos élites ne peut s'expliquer que par de la poudre aux yeux et par un écran de fumée pour cacher une réalité sclérosée.