À La Goulette comme dans d'autres quartiers du Grand Tunis, les poubelles s'accumulent et les habitants s'impatientent. Une situation qui illustre les conséquences directes de la loi n°9 interdisant la sous-traitance, adoptée sans étude d'impact ni mécanismes de transition, et qui semble aujourd'hui mettre les municipalités face à leurs limites. Dans la délégation de l'Aouina, le décor urbain a changé ces dernières semaines. Les trottoirs sont envahis de sacs-poubelles entassés à côté de bennes débordantes, certains terrains vagues ont été transformés en dépotoirs improvisés et les habitants ne cachent plus leur exaspération. Dans plusieurs quartiers, les riverains expliquent que la collecte n'est plus régulière. « Les agents municipaux passent, mais pas assez souvent », raconte un commerçant de l'avenue principale. « Résultat, nous devons garder nos déchets plus longtemps, avec la chaleur, l'odeur devient vite insupportable ». Un habitant d'un lotissement voisin résume la frustration générale : « Avant, les agents de l'entreprise de sous-traitance passaient dans nos rues. Maintenant, on doit transporter nos sacs jusqu'aux bennes de la mairie. Et encore, rien ne garantit qu'ils soient ramassés le jour même ».
Ces désagréments, autrefois sporadiques, se seraient accentués depuis l'interdiction de la sous-traitance. Les services municipaux, déjà sous-dotés, paraissent encore plus débordés. Dans un quartier résidentiel de l'Aouina, à proximité d'un parc, un terrain vague s'est transformé en décharge à ciel ouvert. « On y trouve de tout : sacs d'ordures, déchets de jardin, gravats… et rien n'est enlevé avant la fin de la semaine », explique un habitant. « Les services municipaux ne passent qu'une fois, le week-end, avec un trax pour tout ramasser. Le reste du temps, le site donne peine à voir », déplore-t-il.
L'interdiction de la sous-traitance en cause À peine entrée en vigueur, la loi a bloqué un rouage essentiel : les sociétés de sous-traitance, qui assuraient une part des services municipaux, notamment la collecte des déchets dans certaines ruelles. Sans plan B, des municipalités déjà exsangues se retrouvent à gérer seules une tâche qu'elles ne peuvent matériellement assumer. Le résultat est visible dans les rues de La Goulette. Ce manque d'anticipation n'est pas isolé. Le 29 août 2025, près de 500 employés de l'aéroport de Tunis-Carthage s'étaient rassemblés à l'intérieur du bâtiment pour dénoncer l'absence de régularisation de leur statut. Agents d'enregistrement, bagagistes ou conducteurs de bus, tous ont rappelé la contradiction entre la lettre de la loi et sa mise en œuvre. Leur colère avait paralysé une partie du trafic aérien, révélant une nouvelle fois le gouffre entre les annonces politiques et la réalité du terrain. L'UGTT et les observateurs n'avaient pourtant pas cessé de tirer la sonnette d'alarme. Qualifiant le texte de « populiste, précipité et déconnecté des réalités », la centrale syndicale avait averti que la réforme provoquerait licenciements massifs et chaos organisationnel. Les faits lui ont donné raison : dans le tourisme, secteur déjà fragilisé, 400 à 500 employés ont été licenciés à Sousse, 250 à Djerba et Médenine, près de 500 à Nabeul. Beaucoup d'employeurs avaient même anticipé la loi en remerciant leurs contractuels avant son entrée en vigueur. La loi n°9 devait « sécuriser l'emploi ». Elle semble surtout précariser davantage et paralyser des services publics essentiels. Ce décalage révèle une faille structurelle : l'absence totale d'études d'impact, de concertation et de solutions transitoires. Le cas de La Goulette est le symbole d'une réforme improvisée, votée dans l'urgence, sans mesure ni pragmatisme.
Entre la théorie et la pratique En attendant, à La Goulette, les sacs d'ordures continuent de s'empiler, semaine après semaine. Le spectacle n'est pas seulement celui d'une ville encombrée de détritus : il reflète l'incapacité des institutions à concilier réformes sociales et gestion concrète du quotidien. En voulant corriger les abus de la sous-traitance, l'Etat semble avoir créé un vide opérationnel dont les citoyens paient le prix chaque jour, jusque devant leur porte.
Au-delà de l'odeur des poubelles et de l'image ternie de quartiers naguère paisibles, cette crise révèle une vérité plus profonde : réformer sans étude d'impact, sans concertation et sans moyens d'accompagnement, c'est exposer l'administration à ses propres limites et fragiliser davantage un service public déjà malmené.