Article inspiré de « It's our South Africa moment': the growing global boycott of Israel » d'Andrew England, publié dans le Financial Times le 20 septembre 2025 Les symboles sont parfois plus éloquents que les discours. À New York, sur la place la plus visitée du monde, Times Square, un immense panneau lumineux a osé nommer l'indicible : « génocide ». Ce mot, arraché à l'ONU, projeté en lettres géantes, a traversé les écrans et les consciences. Israël n'est plus seulement critiqué : il est publiquement mis en accusation, dans l'espace global où se construit l'opinion. Et ce qui frappe, c'est la vitesse avec laquelle le boycott, hier marginalisé, criminalisé même, gagne aujourd'hui les terrains de football, les scènes de concert, les tapis rouges d'Hollywood et les universités européennes. Comme si la guerre interminable menée par Israël contre Gaza avait brisé un tabou : celui de l'impunité éternelle.
Le temps d'une Hasbara Palestinienne Il est temps pour ceux qui assistent impuissants, révoltés devant la puissance militaire et médiatique des Etats-Unis et d'Israël, devant les 46 vetos américains aux Nations unies, devant la puissance des médias de droite qui reprennent in extenso les versions israéliennes, de mettre en place une hasbara pro-palestinienne qui déconstruit les mensonges israéliens. Avec les réseaux sociaux chacun à sa façon et avec ses moyens peut contribuer à rétablir la vérité. La Palestine n'est pas une terre sans peuple : elle existe depuis toujours et cette terre n'était pas sans peuple. Les 12 millions de Palestiniens ne sont pas une invention, la Nakba est une réalité historique et les réfugiés palestiniens ne sont pas des terroristes islamistes. Les crimes de guerre, la famine ne sont pas des mensonges, la ségrégation et les humiliations que subissent les Palestiniens quotidiennement sont des réalités cruelles et l'occupation de Jérusalem, de la Cisjordanie et de Gaza est illégale et a été condamnée par les Nations unies. Les décisions de la Cour pénale internationale sont basées sur des faits prouvés et non sur un parti-pris. Critiquer Israël, l'occupation, le génocide, la ségrégation n'est pas être antisémite, c'est même le contraire, c'est lutter contre l'antisémitisme et ceux qui l'ont pratiqué dans l'histoire et le pratiquent sous d'autres formes aujourd'hui en stigmatisant les arabes et les musulmans. Cette guerre n'est pas une guerre de religion, c'est une guerre de territoire et enfin l'immense majorité des peuples dans ce monde soutient la cause palestinienne et ce sont eux qui sont dans le sens de l'Histoire, et non l'inverse.
Le football, nouveau champ de bataille moral Le ballon rond, vitrine planétaire, est devenu la cible privilégiée. Une campagne intitulée GameOverIsrael appelle les fédérations européennes à bannir Israël des compétitions, comme on l'a fait pour la Russie après l'Ukraine, comme on l'avait fait jadis pour l'Afrique du Sud de l'apartheid. L'Italie, la Norvège et l'Espagne se sont déjà exprimées en ce sens. Eric Cantona, fidèle à sa légende de joueur rebelle, a trouvé les mots justes : « Le boycott sportif a été crucial pour mettre fin à l'apartheid. Nous avons le pouvoir. » Là où les gouvernements tergiversent, ce sont les artistes, les sportifs, les intellectuels qui imposent un agenda moral.
La culture refuse la complicité Dans les salles de concert de Londres, au cœur des cérémonies hollywoodiennes, un même mot d'ordre s'impose : plus de normalisation avec l'apartheid israélien. Plus de 4 500 acteurs, cinéastes et écrivains ont signé une promesse de rupture. Hannah Einbinder a crié « Free Palestine ! » aux Emmy Awards, Javier Bardem a défilé en keffieh sur le tapis rouge. Ces gestes, que d'aucuns taxeront de symboliques, pèsent pourtant lourd : ils fissurent le mur de silence qui a longtemps protégé Israël dans les cercles culturels occidentaux. Car si l'histoire de l'Afrique du Sud nous apprend quelque chose, c'est bien ceci : l'isolement culturel et sportif précède toujours l'isolement politique.
Des capitales sous pression Les gouvernements commencent à vaciller. Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez réclame l'exclusion d'Israël de toutes les compétitions internationales. L'Irlande, la Slovénie et les Pays-Bas menacent de boycotter l'Eurovision. Et dix Etats — rejoints par la France, le Royaume‑Uni, la Belgique, le Canada ou l'Australie — reconnaîtront lundi 22 septembre 2025 l'Etat palestinien, acte à la fois symbolique et cinglant, un désaveu du gouvernement Netanyahu. Jamais Israël n'avait connu un tel isolement diplomatique depuis sa création.
Les limites de la comparaison avec Pretoria « C'est notre moment Afrique du Sud », affirme Omar Barghouti, fondateur du mouvement BDS. Le parallèle est puissant, mais il n'est pas parfait. L'Afrique du Sud de l'apartheid n'avait pas derrière elle l'ombre protectrice d'une superpuissance. Israël, lui, est arrimé à Washington, dont le soutien militaire, diplomatique et idéologique demeure inébranlable. Mais la comparaison reste éclairante : hier encore, appeler au boycott de Tel-Aviv valait diffamation ou antisémitisme. Aujourd'hui, le boycott est revendiqué par des artistes, des sportifs, des élus, des ONG, et trouve sa place dans le débat public international. C'est un renversement historique.
Israël face à la peur du paria Netanyahu, fidèle à sa rhétorique, joue la carte victimaire : « Le monde est contre nous », « la propagande du Hamas ». Mais derrière l'assurance, une inquiétude perce. Les suspensions de ventes d'armes se multiplient, les universités européennes rompent leurs partenariats, les investisseurs redoutent la fuite des capitaux. Même au sein de la société israélienne, une angoisse diffuse monte : celle d'un pays qui, peu à peu, se découvre vulnérable au jugement du monde. Le Premier ministre a admis que l'isolement aurait un coût. Mais sa réponse — vanter une économie « d'autarcie », « Athènes et Super‑Sparte » — ressemble moins à une vision qu'à un aveu d'impuissance. Israël redoute désormais d'endosser le rôle que l'Afrique du Sud joua jadis : celui du paria international.
Un langage commun contre l'impunité L'histoire retiendra peut‑être que c'est dans les stades, les concerts et les universités que la fracture a commencé. Le boycott est devenu un langage universel, compris de Lagos à Londres, de Buenos Aires à Berlin. Un langage qui dit ceci : la barbarie ne peut être normalisée. Les dirigeants israéliens espéraient que le temps jouerait pour eux. Mais le temps, cette fois, semble jouer contre eux. Et si ce « moment Afrique du Sud » n'est pas encore l'instant final, il est déjà une promesse : celle que l'impunité, tôt ou tard, rencontre toujours ses limites.