Tandis que les habitants de Gabès font face à une nouvelle vague d'intoxications causées par des émanations industrielles, le ministère de l'Industrie, des Mines et de l'Energie consacre ses réunions à un vaste projet de transport hydraulique du phosphate. Une annonce qui sonne comme un paradoxe dans une région où l'urgence sanitaire et écologique ne cesse de s'aggraver. La ministre de l'Industrie, Fatma Thabet Chiboub, a présidé, lundi 13 octobre 2025, une réunion du comité de pilotage chargée de l'étude de faisabilité du projet. Selon le communiqué officiel, il s'agit d'un « projet intégré de transport hydraulique du phosphate commercial du bassin minier vers les usines du Groupe chimique tunisien à Gabès et à Skhira ». La rencontre a réuni plusieurs responsables, dont la cheffe de cabinet Afef Chachi, la directrice générale des Mines Najeh Cherif, le directeur général de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) Abdelkader Amaïdi et celui du GCT Hédi Youssef. Des représentants de la Société financière internationale (IFC), relevant du Groupe de la Banque mondiale, ainsi que des bureaux d'études en charge du projet, y ont également pris part. Selon le ministère, le projet vise à moderniser le système de transport du phosphate commercial, à réduire les coûts logistiques et à préserver les ressources hydriques grâce à l'utilisation des énergies renouvelables. Le dispositif comprendrait un pipeline reliant la zone de collecte d'Oum Lakhcheb à Métlaoui aux usines du GCT, ainsi qu'une station photovoltaïque destinée à alimenter le réseau en énergie. Mais sur le terrain, l'ironie du calendrier n'a échappé à personne. À des kilomètres de là, Gabès vit au rythme des sirènes d'ambulances. Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent des scènes d'urgence dans les écoles et les hôpitaux, où plusieurs enfants ont été pris en charge pour des troubles respiratoires. La population dénonce un air irrespirable et des eaux polluées depuis des décennies par les activités du GCT. Les associations locales parlent désormais d'un « écocide silencieux » et accusent l'Etat d'avoir abandonné la région. Les habitants réclament désormais le démantèlement complet des unités industrielles. Le président Kaïs Saïed a, lui aussi, réagi samedi 11 octobre 2025, en recevant la ministre Fatma Thabet et le ministre de l'Environnement Habib Abid. Une mission conjointe a été dépêchée à l'usine du GCT pour évaluer les dysfonctionnements et proposer des mesures urgentes. « Une Tunisie verte, débarrassée de toute pollution », a promis le chef de l'Etat. Mais à Gabès, ces mots résonnent comme un refrain trop souvent entendu. Pendant que la population réclame de l'air pur, le gouvernement semble, une fois de plus, concentré sur la circulation du phosphate — pas sur celle de l'oxygène.