La vie socioéconomique sous Ben Ali était gangrenée par un racket organisé qui touche tous les secteurs de l'économie et les artères vitales de la société. Chaque service a un prix. Ce qui se chuchotait dans les salons et ce qui se disait dans les coulisses des ambassades et chez les investisseurs étrangers fait désormais la une des journaux, maintenant que tous les tabous sont levés et que les langues se sont déliées. Il est vraiment difficile de se frayer un sentier pour parler de racket. Tout sent la pourriture et cela allait de la présidence de la République au petit omda de quartier en passant naturellement par les Belhassen et Imed Trabelsi. Pour obtenir l'autorisation d'un marchand ambulant, il faut casquer et arroser les agents municipaux pour éviter les filets du contrôle. Le départ ne saurait être que par là. C'est la pratique qui a poussé Mohamed Bouazizi à s'immoler par le feu et a déclenché le soulèvement populaire en Tunisie qui a poussé à la porte le régime déchu de Ben Ali. Le racket touchait donc même le petit peuple. Ben Ali n'a-t-il pas parlé, lui-même, il y a quelques années de «Khemaies», «Achour» et «Belgacem», ‘langage codé' signifiant la réclamation de cinq, dix ou trente dinars par les agents de l'ordre ? Il n'a rien fait pour autant pour y mettre fin. Au contraire, il était le premier mouillé, comme l'attestent aujourd'hui les témoignages. Le Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement Secondaire (CAPES) avait, lui aussi, ses réseaux de racket. Plus de soixante mille candidats se présentaient annuellement pour un maximum de trois mille postes d'enseignants. Du coup, c'est un filtrage systématique et tout le monde espérait faire partie du lot des admis. L'enjeu n'est pas mince. Il s'agit d'un poste avec un salaire minimum de 700 dinars. C'est ce qui explique les ‘tarifs' élevés dépassant, parfois, les dix mille dinars. Cette pratique est confirmée du moment qu'une affaire est déjà devant le tribunal contre un ex-directeur général au ministère de l'Education et qui implique des employés dans son entourage. De même pour les recrutements des médecins par le département de la Santé publique, pour ne citer que ces deux cas. Toujours dans l'administration, les événements du bassin minier de Gafsa et Redeyef en 2008 se sont déclenchés suite à une attribution « arrangée » de postes à la Compagnie des phosphates de Gafsa. Là encore, il fallait soit payer ou faire partie des sphères dirigeantes pour faire admettre « son protégé ». Dans le marché parallèle, le racket est encore plus organisé. Les petits commerçants des souks de Moncef Bey ou de Sidi Boumendil et des autres souks expliquent les procédures. « Chacun de nous donne les références des marchandises qu'il souhaite importer aux intermédiaires des Trabelsi qui dominent ce marché. On doit payer une commission de 50 % en plus du coût des produits » explique Sami, un marchand de Sidi Boumendil. « Ils ont deux sociétés d'importation qui se chargent de tout ce circuit. L'importation se fait sous des dénominations diverses d'autres articles. Leurs containers ne sont jamais contrôlés. Lorsqu'un commandant de douanes honnête a essayé de vérifier le contenu d'un container destiné à Jalila Trabelsi, il a été muté de Tunis au Sud du pays », a-t-il ajouté. Pour pénétrer ce monde-là, ce n'était nullement difficile. Le marchand prend l'avion et va faire ses emplettes en Chine ou ailleurs. Il ne fait que passer la commande, il ne paie rien, ce sont les Trabelsi qui se chargent de la facture en devises et c'est eux qui se chargent du dédouanement. A Tunis, le petit commerçant paie la facture et les commissions. Hédi Jilani et l'UTICA ont averti que le marché parallèle bouffe 40 % du PIB ! Il s'agit de centaines de milliards ! » a t-il conclu. D'autres projets suscitent que l'on braque dessus les feux des rampes. Le projet foncier relevant de l'Agence foncière de l'habitat d'Aïn Zaghouan couvrant des centaines d'hectares a changé de vocation du jour au lendemain il y a quelques années. Pourtant des privilégiés y avaient accès à coup de grosses sommes. Tout le monde disait alors que c'est à la présidence de la République que tout se tramait. Tout le monde n'accepte certainement pas de payer, considérant que la commission est trop élevée ou que « le jeu ne vaut pas la chandelle ! ». Ceux-là sont systématiquement éliminés des marchés concernés. Les trois marchés les plus concernés par cette pratique seraient l'aéroport d'Enfida et la raffinerie de Skhira, en plus de la Cité de la culture. L'exemple de la raffinerie de Skhira est très édifiant. Ce sont d'abord des Libyens qui ont été présentés comme partenaires sur ce projet. Ensuite ce sont des Koweitiens qui ont été annoncés pour partants dans cette entreprise. Finalement, c'est Mohamed Mourad Trabelsi qui s'est installé en « apprenti-homme d'affaires expert sur de tels marchés » et qui s'est associé à Pétroegypt pour la réalisation de cette raffinerie. Là encore, la transaction n'a pas été finalisée, faute d'accord sur les commissions. Autres affaires, autres business, celles de Imed Trabelsi devenu tristement célèbre (déjà) par l'affaire du yacht volé. Cette affaire n'a pas empêché pour autant Bricorama de s'associer à lui et de tourner le dos au véritable promoteur du projet, Faouzi Mahbouli. Ce dernier, suite à des intimidations policières et de violences, a dû aller se réfugier à Paris. Mais comme Bricorama était en jeu, les journaux français lui ont peu consacré d'espace bien que M. Mahbouli ait déposé une plainte en bonne et due forme en France. L'autre affaire célèbre de Imed Trabelsi est celle du navire El Habib de la CTN affrété par une de ses entreprises en toute illégalité. Il a laissé une ardoise salée en Libye et on aimerait bien que la CTN jette toute la lumière sur cette affaire aujourd'hui. Le même Imed, devenu maire de la Goulette en octobre dernier, vient de créer une société spécialisée dans les ordures ménagères. Question de détourner des marchés au vu et au su de tous. Le racket le plus « limpide » demeure celui opéré en toute transparence par l'appareil de l'Etat. On pense notamment à la levée de fonds dans les campagnes présidentielles et auquel aucun grand homme d'affaires n'a échappé. Des centaines de milliers de dinars sont ainsi versés par chacune des entreprises « spoliées ». Derrière cela, Abdallah Kallel. L'autre racket « transparent » est celui du 26-26 et auquel aucun fonctionnaire de l'Etat n'a échappé. Ce fonds de solidarité est directement géré par la présidence de la République et personne ne peut refuser de participer au 26-26 puisque la ponction (un jour de travail) est prélevée directement sur le salaire. Selon certaines sources dignes de foi, le président de la République lui-même touchait des commissions sur des licences ou de grands marchés de l'Etat, y compris par des étrangers et spécialement des Français. Le cas le plus connu est celui de la licence de Tunisiana en 2002 lorsque Sawiris a fait entrer dans le capital Leïla Ben Ali et Souha Arafat à hauteur de 15%. Une seule personne, jusque là, l'a accusé directement, Mohamed Bouebdelli qui a déclaré que Ben Ali lui aurait demandé 50% en contrepartie d'une autorisation d'ouverture d'une faculté de pharmacie. La Tunisie vivait à ce rythme de racket et de commissions occultes. La commission nationale d'établissement des faits sur les affaires de malversation et de corruption a du pain sur la planche. Le peuple est appelé à dénoncer tous les abus. Le numéro vert 80.102.222 ne doit pas s'arrêter de sonner à partir de 8 heures du matin, le lundi 31 janvier 2011. Nous y reviendrons certainement. Caricature : Dilem - Liberté (Algérie) Mounir Ben Mahmoud Raouf Ben Hédi