Chaque chose a une fin… heureuse ou autre. Dans les années 90, la rue Sidi Boumendil était paisible, une rue passante. Les gamins du quartier avoisinant, fuyant l'odeur du poisson, vendu à la rue Essabaghine, prenaient le temps de jouer. Bien que l'espace était confiné, restreint, cela ne dérangeait nullement les rares passants où les quelques commerces existants. Presque rien pour une rue qui va de Bab Djazira jusqu'à la place vers la rue d'Espagne. Une aire où les cireurs de chaussures ont élu domicile. Quelques baraques et surtout l'ancienne gare chères aux louagistes du Centre et du Sud tunisien. Pour ceux qui ont voyagé, ont été à Paris, on peut leur laisser le loisir d'imaginer l'empire «TATI» dans toute sa grandeur – et ses prix bas – déplacé dans une rue de 3 mètres de largeur!!! Les débuts de «gloire» de la sue Sidi Boumendil sont le fait de quelques commerçants ambulants qui à force de faire les marchés hebdomadaires – mais aussi l'âge – ont éprouvé le besoin de s'installer… On se rappelle l'Italie vers ces années-là où on pouvait y aller sans visa… et même en 2 heures chrono à partir de Kélibia. Une époque où le commerce de la valise était légion… Et vint l'ère de l'importation à outrance sans taxes, ni TVA… Le port de La Goulette, puis celui de Radès sont devenus une passoire du «laisser entrer, laisser vendre»… Une machine mafieuse s'est imposée dans le secteur de l'importation… des bateaux accostaient quotidiennement et des containers entiers, – payés à l'avance – étaient destinés aux revendeurs. Des affaires qui rapportaient gros aux deux partis. Ainsi commença «l'ère de la Camelote». Une vague qui a mis au chômage les artisans, acculés les petits métiers à la disparition et enrichi à l'excès des nababs, attirés par le gain facile et la rentabilité immédiate sans paperasses ni taxes, un «Etat» dans l'Etat. Toute la rue Sidi Boumendil fut envahie par des gens prêts à débourser des centaines de millions pour un 4 mètres carrés… ou un couloir d'immeuble… Sidi Boumendil le 27 janvier, 8h du matin Quelques «boutiques» sont déjà ouvertes, les «patrons» sont à pieds d'oeuvre, quoique l'on sent un air de lassitude, ou de léger sommeil car les chaines télévisées ne laissent personnes indifférents soit pour l'actualité nationale où ce qui se passe ailleurs!!! Les rares passants pressés de joindre leur boulot ne semblent pas s'apercevoir que quelque chose a changé… Les échoppes sont presque vides, les camions qui d'habitude prenaient toute la place sont rares… même les transporteurs par brouette sont absents… Les seuls qui semblent éveillés sont les vendeurs de cigarettes. Par cartouches entières. De l'importé mais surtout fruit de vols lors des derniers événements… M… m'assure avoir acheté son stock à 3 dinars la cartouche de 20 Mars légères (prix normal 20 dinars !!!). Comme chaque jour, Belgacem et son associé sont là. Ils sont commerçants ambulants. Un créneau qui rapporte jusqu'à 60 dinars par jour… Il suffit d'acheter de la rue Sidi Boumendil et revendre dans les cités un peu éloignées... Oued Ellil, Tebourba, Lahbibia et même à Mateur… tout y passe, des lames à raser pour les coiffeurs et les vendeurs de fruits secs, aux robes longues pour les «belles» des bourgades éloignées, car il faut s'imaginer que la gent féminine ne peut se déplacer et faire 15 ou 20 km à l'aller comme au retour pour s'acheter une robe ou une couverture, une couette ou un lot de casseroles… Le tout «made in China». Le juste prix mais dont la durée d'utilisation est très restreinte. Il n'empêche, une nouvelle mode de consommation a été introduite par les sbires du pouvoir déchu… Le jetable!!! C'est tout dire. Dans ces ex-cavernes d'Ali Baba, il y avait de tout… du stylo aux arts déco, sans oublier les artifices et les fumigènes!!! Un «commerce» qui rapportait des milliards… sous le regard des autorités… douane en premier lieu… Ayant fait leurs achats, Belgacem, originaire de Zaghouan, avec sa mobylette sera de retour chez lui… dans sa chambre d'une «Oukala» louée 50 dinars par mois, vers 10h du matin… 2 heures par jour pour un gain quotidien de plus de 60 dinars… de quoi faire rougir un médecin ou un professeur à l'Université… Sidi Boumendil 12h C'était l'heure de «pointe» pour les commerçants, fonctionnaires, employés de bureaux, femmes au foyer… tous sont attirés par les «importés» pas chers… les étalages d'habitude fournis, sont à moitié vides. Le manque se remarque pour l'oeil averti… Moncef est dans tous ses états. Habitués à des journées à 1.000 dinars, il se sent déprimé, mal à l'aise, pas dans son assiette… lui qui achetait cash chaque semaine un container d'assiettes à 15 millions… C'est que le temps a changé. La révolution a mis fin à ses aspirations – quoiqu'il a déjà accumulé une petite ou grande – fortune… allez savoir!!! Les échos qui lui parviennent via son «black berry» n'augurent rien de bon. Fini les bonnes nouvelles… Il s'en remet à ses souvenirs, à ses beuveries dans les hôtels de luxe… Ses amis du Souk Moncef Bey viennent de lui annoncer la Tuile… D'habitude c'est le tuyau mais aujourd'hui, pour lui c'est la «cata»… Il reste quelques containers au port de Radès mais pour en avoir un, il faut payer taxes et TVA… de 15 millions, avant, il faut 50 briques actuellement… Un manque à gagner énorme… D'où son idée de liquider ce qui lui reste sous la main… L'après, il se verrait bien dans sa région auprès des siens et pourquoi pas quitter les «affaires» pour un retour à la terre, à l'agriculture… car Moncef, il l'admet lui-même, n'était pas du tout destiné aux affaires… d'origine modeste, natif du centre de Jelma exactement… Il fut approché un jour par un certain «Métoui»… Le «roi» de Bab El Fellah et des alentours… Bref… En quelques jours, il a eu «sa» boutique, sa marchandise et un joli pactole pour débuter… Une belle aventure qui lui a permis de se faire un nom et garnir son carnet de quelques adresses connues par les «initiés» et les «sûrs». Lieux où il y avait de tout… il suffit de payer un droit d'entrée… des miettes pour quelqu'un qui roule en BMW… lui l'ancien gardien de troupeau… Pourtant l'homme (il a 48 ans) ne semble pas trop affecté… L'avenir, il y pense mais pas trop… Il a de beaux restes et pourrait même «yenter» vers Naples ou Milan!!! Car il est «clean»… Il n'empêche, même actuellement à la fin de l'ère Camelote plusieurs lui rendent du «Si» Moncef… surtout quelques habituées habitées par la frénésie d'achats… même par facilité!!!... Sidi Boumendil 18h… Il fait un peu tristounet, les rares passants pressent le pas. Rentrer au plus vite pour «zapper»… La révolution tunisienne a fait des émules … Mieux vaut voir un dictateur tomber qu'une partie de belote ou «rami». C'est que les Tunisiens sont devenus un exemple de courage, des résistants qui ont chassé une caste de nus-pieds… par la résistance le martyr et facebook… On en parle à longueur de soirées… Un à un, les commerçants de Sidi Boumendil «les dengristes» en été, ferment leurs échoppes en s'assurant que tous les cadenas sont à leur place… on ne sait jamais… Et la rue se vide… laissant la place aux chats et aux collecteurs de cartons… «Une trouvaille» de l'ancien régime… le recyclage du papier, de l'aluminium, du plastic… Une forme de «création d'emplois»!!! Alors que les richesses de tout un pays étaient détenus par une «smala» insatiable… Au diable les dictateurs et leurs sbires… Un Etat de droit prendra la place… Un espoir tant attendu depuis 23 ans…