Les élections de l'Assemblée constituante le 24 juillet approchant à grands pas, l'importance de cette échéance n'échappe à personne ; car elle va déterminer le cadre dans lequel vont vivre nos enfants et nos petits enfants les cinquante prochaines années. Les électeurs vont élire leurs représentants qui, en dernier ressort, décideront d'un projet de société. Deux choix s'affronteront. Le premier projet porté par la mouvance islamiste d'Ennahdha, qui, à défaut d'imposer la chariâ, voudrait moraliser la vie publique. Les différents représentants d'Ennahdha se veulent rassurants lors de leurs différents meetings ou apparitions médiatiques. Pas question de remettre en cause le Code du Statut Personnel et la place de choix qu'occupe la femme tunisienne dans la vie publique. Ni les choix économiques et notamment celui du tourisme comme secteur stratégique, tout au plus le réorganiser pour qu'il attire plutôt une clientèle arabe du Golfe, la question de la consommation de l'alcool étant esquivée. Abdelfattah Mourou est même tolérant quant à sa consommation dans les lieux publics. Bref un projet de société qui prône un Islam à la Tunisienne adapté aux exigences de la géopolitique, s'appuyant sur le Monde arabe et qui accepte la démocratie et l'alternance par les urnes. Un projet qui peut paraître séduisant pour beaucoup de Tunisiens. La première question que l'on est en droit de se poser est : quelle est la part de sincérité dans les propos avancés par les différents leaders islamistes ? Et si ce n'était qu'un habillage subtil pour conquérir le pouvoir par les urnes et ne plus le rendre ? Cheikh Rached Ghannouchi évoque souvent l'exemple de la Turquie. Mais il oublie de dire que dans ce pays, c'est l'armée qui est garante des institutions et qu'elle n'a pas hésité, par moments, à confisquer le pouvoir aux islamistes quand elle a senti une menace. Précisément, qui pourrait en Tunisie empêcher une dérive islamiste extrémiste qui ferait plonger le pays quelques siècles en arrière ? Même si on a des raisons de ne pas mettre en doute la parole d'un Rached Ghannouchi ou d'un Abdelfattah Mourou, rien n'indique qu'ils ne seront pas débordés par les ultras le jour où ils assumeront l'exercice du pouvoir. Ennahdha dispose de la logistique et des moyens financiers pour gagner la prochaine échéance électorale et “imposer” ainsi son projet de société. Ce n'est certainement pas la nouvelle loi électorale qui, si elle adopte le scrutin de liste avec l'instauration de la proportionnelle et la parité homme-femme qui l'empêcherait d'atteindre ses objectifs. Tout au plus elle en atténuerait les effets. La deuxième possibilité serait un projet de société tourné vers la modernité, de centre gauche sur le plan économique, fier de son héritage arabo-musulman mais résolument tourné vers l'Europe, un projet de société qui respecte l'identité arabo-musulmane de la Tunisie mais qui ne souffre d'aucun complexe vis-à-vis de l'Occident, c'est en gros le projet de Bourguiba débarrassé du legs despotique. Problème : Qui pourrait incarner dans les faits ce projet ? Qui pourrait séduire plus de 60% des Tunisiens ? On évoque la constitution d'un front républicain progressiste qui réunirait le parti Ettajdid de M. Ahmed Ibrahim, le Forum démocratique pour le travail et la liberté de M. Mustapha Ben Jaâfar et le PDP de M. Nejib Chebbi. C'est un espoir pour l'ensemble des démocrates de ce pays, mais encore faut-il mettre de côté les calculs personnels et dépasser les problèmes d'égo-jouer en équipe plutôt qu'en solo. C'est à cette condition que pourront les rejoindre d'autres partis nouvellement constitués ou en cours de constitution. C'est l'unique moyen de proposer un projet alternatif crédible. * * * * Par la magie de la révolution, les médias en général et la presse écrite (papier et édition électronique) en particulier ont conquis leur liberté, malgré les dérapages regrettables mais sommes toutes compréhensibles. Les lecteurs redécouvrent leurs journaux, et d'ailleurs de façon générale les tirages ont augmenté à quelques rares exceptions. L'embellie est réelle mais peut-on parler du Printemps de la presse tunisienne ? Il faut, pour cela, répondre à un certain nombre d'interrogations que se pose l'opinion publique. Personne aujourd'hui, ni journalistes ni directeurs de publications, ne peut prétendre qu'il a été totalement irréprochable durant les vingt trois dernières années. Chacun de nous a certainement commis des fautes. Il faut avoir l'humilité de le reconnaître et certainement demander pardon. Je le fais sincèrement. Mais il y a ceux qui ont usé et abusé du système, ceux qui ont utilisé leurs journaux pour dénigrer et insulter les démocrates. Ceux qui ont bénéficié d'un soutien proprement scandaleux car ne répondant à aucun critère objectif de la part de la défunte Agence de communication extérieure (ATCE) ou ceux qui ont été payés (gracieusement) pour harceler les opposants à l'étranger, ou qui ont bénéficié de passe-droits et de privilèges de toutes sortes pour leur “docilité”. Ceux qui ont trahi leur conscience en vendant leur âme aux renseignements généraux en faisant de la délation et du mensonge leur sport favori. Plus grave, ceux qui ont bénéficié d'argent public et de crédits bancaires sans fournir de garanties les détournant à des fins personnelles et qui n'ont jamais payé leurs journalistes et les imprimeurs profitant de l'immunité acquise grâce à leurs mentors, aujourd'hui en fuite à l'étranger ou en prison. Puis ceux qui ont été obligés, face aux pressions de toutes sortes, à être amenés à faire des compromis. Ils le faisaient pour préserver leur entreprise de presse et les emplois qu'elles génèrent, mais en même temps profiter des rares espaces de liberté pour s'exprimer. Il est temps que la profession clarifie ses rapports avec l'ancien régime pour se débarrasser de ses anciens démons et repartir à la conquête de la liberté d'informer tout en développant l'entreprise et l'emploi. Il est grand temps aussi de savoir si l'argent distribué par l'ATCE a été utilisé au profit des institutions de presse ou bien détourné à des fins personnelles. Je pense que c'est à cette exigence de vérité que doit d'abord se consacrer le nouveau bureau de l'Association des Directeurs de journaux récemment élu. Le climat dans lequel s'est déroulée l'Assemblée générale du 15 avril, empreint de sérénité, a traduit pour la majorité des présents la volonté de réconcilier leur secteur d'activité avec l'opinion publique. Les directeurs de journaux présents sont représentatifs du paysage médiatique, ils ne veulent plus être perçus uniquement comme les défenseurs des intérêts matériels de leur entreprise mais veulent également se porter garants de la défense des libertés, aux côtés du Syndicat national des journalistes tunisiens. Cette Association est appelée à devenir bientôt une fédération des directeurs de presse, elle doit retrouver la place qui lui revient de droit auprès des différentes instances de réflexion et de décision mises en place après le 14 janvier. Elle en a l'ambition et la volonté pour représenter dignement le 4ème pouvoir.