Une émission sera bientôt animée pendant Ramadan 2011 par Abdelfattah Mourou, premier fondateur du parti islamiste Ennahdha. L'enjeu est de taille : Intitulée « Saha Chribetkom », les sujets abordés seront autour de la relation entre islam et société selon Lotfi Salami, journaliste à la chaine privée Hannibal TV. Ainsi, le politicien se transforme en animateur d'une émission religieuse. Cette nouvelle a provoqué une polémique sur les réseaux sociaux et autres sphères de la société civile. Où se trouve le problème diront certains quand d'autres crieraient la sonnette d'alarme d'un usage pervers de la religion pour manipuler l'opinion publique et ce à deux mois des élections des membres de la Constituante ? Vacillant entre le religieux et le politique, la position de Mourou ne semble pas bien claire. En effet, une crainte de l'usage de la religion pour influencer les élections préoccupe certains. Interrogé à ce sujet, l'historien Adnen Mansar fait remarquer que le contexte temporel d'une telle émission religieuse ne sied pas à la situation politique actuelle, d'autant plus que le statut de Abdelfattah Mourou n'est pas encore défini sur la scène médiatique. Juriste, politicien, prêcheur et bientôt animateur d'une émission télévisée, ces multiples casquettes risqueraient de porter préjudice aux prochaines élections qui auront lieu le 23 octobre 2011. En outre Rached Ghannouchi a récemment déclaré sur radio Tataouine que Mourou superviserait lui-même les élections en faveur d'Ennahdha. Voulant vérifier ce qu'il en était au sujet de l'adhésion de Mourou au parti islamiste, on a pris contact avec l'un de ses membres Zied Bou Makhla qui a démenti les déclarations de Ghannouchi en expliquant que cela a bien été proposé à Mourou mais ce dernier n'a toujours pas accepté. Ainsi, le chef du parti islamiste déclare un fait non avéré et non certifié par ses propres membres. A qui profitent l'ambigüité et ces fausses déclarations ? En sus, les apparitions multiples de Mourou sous l'étendard d'Ennahdha compliquent encore plus les choses… Par ailleurs, une autre problématique a été relevée sur la page de Mourou qui contient plus de 16000 fans. On accuserait la chaine Hannibal Tv de populisme en jouant la carte de la popularité de l'ex-Nahdhaoui pour augmenter son audimat. Sur cette page la plupart blâmaient « le cheikh » de jouer le jeu d'une chaine qui « combattrait l'islam ». Selon l'animateur à Hannibal TV Hssine Ben Hmed, Mourou a été convié à animer cette émission pour apporter exclusivement un plus à la programmation ramadanesque, rien de plus. Il a rajouté également que les différents épisodes qui ont été déjà enregistrés n'abordaient en aucun cas la politique et se concentreraient seulement sur « l'islam et la vie ». Selon lui, « le cheikh » se présenterait comme une personnalité indépendante n'appartenant à aucun parti politique. Cependant, Samir Ettaieb, représentant du Mouvement Ettajdid considère que «l'animation d'un programme télévisé [par une personnalité affiliée à Ennahdha, Ndlr] est une atteinte au pluralisme et au processus démocratique et s'inscrit dans le cadre de la propagande électorale». Populisme d'ordre politique (de la part d'Ennahdha) ou d'ordre capitaliste (de la part de la chaine Hanibal Tv) le personnage de Abdelfattah Mourou semble en être affecté. Certes personnalité indépendante, il est, historiquement, le premier fondateur du parti islamiste. Ex porte-parole d'Ennahdha dans les années 90, il s'y est disloqué suite aux incidents de Bab Souika où il a fermement condamné les attaques perpétrées par certains membres de son propre parti contre des civils. Après la chute du régime dictatoriale et la libération de tous les prisonniers islamistes, Mourou, dans une sorte de bras de fer fait à Rached Ghannouchi, refuse de réintégrer Ennahdha et ce à cause de ce sombre contentieux où de l'acide a été jeté sur le visage des passants par des islamistes… Il estimerait que la vérité n'ait toujours pas été révélée quant aux vrais coupables. Ses activités et politiques et religieuses continuent à nourrir un amalgame et une confusion où les limites seront bientôt définies lors de l'écriture de la deuxième constitution de la République tunisienne. Cette polémique vis-vis d'une émission religieuse animée par un politicien ne serait alors qu'un signe emblématique d'un questionnement au sujet d'une formule en devenir qui puisse, un jour, unir, d'une manière effective, les citoyens tunisiens qu'ils soient islamistes ou laïques. Lilia WESLATY Samir Ettayeb (Mouvement Ettajdid) «Une mesure discriminatoire à l'égard de tous les partis politiques» Suite à l'information parvenue selon laquelle la chaîne télévisée Hannibal Tv compte diffuser une émission religieuse animée par Abdelfattah Mourou, le Mouvement Ettajdid s'est interrogé sur cet espace qui lui sera accordé sachant qu'il n'a pas une formation dans la spécialité. Pour quoi accorde-t-on une émission à un fondateur d'un parti politique qui pourrait présenter sa candidature pour la Constituante et qui pourrait être élu ? Certains disent même que Abdelfattah Mourou est un indépendant, alors que Rached Ghannouchi a déclaré à la Radio Tataouine que la campagne électorale du parti Ennahdha sera dirigée par Abdelfattah Mourou. Nous pensons donc que c'est une mesure discriminatoire à l'égard de tous les partis politiques. Le gouvernement est appelé ainsi à intervenir. D'ailleurs ce qui se passe aujourd'hui dans les médias au nom de la liberté de la presse risque de « tuer » la liberté, et l'émission qui sera accordée à Abdelfattah Mourou révèle la situation actuelle. Nous ferons tout d'ailleurs pour arrêter cette émission. Une lettre signée par les membres de la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution de la réforme politique et de la transition démocratique a été adressée avant-hier à Kamal Laabidi, président de l'instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication. Nous ferons le suivi de notre action et nous allons le contacter lundi pour avoir une idée sur sa position. Nous allons d'ailleurs aller jusqu'au bout dans notre action parce qu'il faut appliquer le pluralisme. Sana FARAHAT
Afek Tounès : «L'instrumentalisation de la religion» L'accès des partis politiques aux médias souffre aujourd'hui d'un grand déséquilibre avec un temps de parole extrêmement inégal et qui profite, selon les agences de sondage, à une tendance au détriment des autres partis. La tribune quotidienne offerte par Hannibal TV à M. Abdelfattah Mourou durant le mois de Ramadan ne peut qu'accentuer ce déséquilibre et participer à une propagande en faveur de protagonistes politiques. L'argument fallacieux du caractère religieux de cette émission et du statut indépendant de Abdelfattah Mourou ne peut échapper à personne. Encore une fois, l'ambivalence dans le discours et les rôles est à l'œuvre. Monsieur Mourou est souvent apparu aux côtés des dirigeants d'Ennahdha et a pris part à nombre de leurs meetings, dont le dernier en date à Monastir. Il est présenté comme un homme politique et ne s'en est pas défendu. Et même si pour le moment il est resté évasif sur une candidature potentielle à une prochaine échéance électorale, il ne l'a pas non plus exclue. Par conséquent, sa programmation quotidienne sur une chaîne télévisée, quand bien même elle serait privée, est inacceptable. Elle participe à l'instrumentalisation de la religion au profit du politique et brouille les cartes. Il s'agit ni plus ni moins d'une manipulation de l'opinion en période pré électorale. Afek Tounès qui partage avec tous les Tunisiens ce moment privilégié de célébration du mois Saint de Ramadan, dénonce pareilles pratiques. Il appelle toutes les parties à respecter les règles du jeu démocratique, à consacrer la neutralité des tribunes religieuses et à les tenir à l'écart de l'action politique.