Le gouvernement vient d'adopter le projet de la Loi de finances complémentaire, qui va être examiné la semaine prochaine, d'abord, par la commission spécialisée de l'Assemblée nationale constituante et, ensuite, en séance plénière. Les premières indiscrétions filtrant des sphères du gouvernement parlent d'une enveloppe de près de sept milliards de dinars pour le développement régional, soit 25 % de plus que les anciennes dotations. Les nouvelles ressources budgétaires proviennent essentiellement d'une augmentation des prix des carburants, des cigarettes et des produits alcoolisés, d'un quasi-maintien des salaires, voire d'une retenue de deux à quatre jours sur les employés percevant plus de 500 dinars, ainsi que de contributions d'hommes d'affaires dans le développement. La loi de finances complémentaire aurait avancé diverses projections pour renflouer les caisses de l'Etat. L'augmentation du prix de l'essence serait de 100 millimes au minimum et pourrait atteindre les 500 millimes d'ici la fin de 2012, en fonction des fluctuations du dollar et des cours du pétrole. Concernant la retenue de quatre jours de travail sur les salaires des employés, cette proposition aurait été maintenue mais elle a été modelée selon les revenus. Ainsi, les revenus inférieurs à 500 dinars seraient dispensés. Deux jours de travail seraient retenus pour les employés ayant des salaires entre 500 et 700 dinars ; trois jours pour la tranche de 700 à 1000 dinars et quatre jours pour les employés percevant plus de 1000 dinars. Aucune précision n'a été avancée concernant les retraités, dont le nombre dépasse les 700.000. Les sphères gouvernementales affirment que les choix ont été opérés en accordant une priorité absolue à l'emploi, au développement régional et à la lutte contre la pauvreté. Toutefois, les projections ne paraissent pas satisfaire les politiciens et ne devraient pas répondre aux attentes des intéressés, surtout, en l'absence, pour le moment du moins, d'une contribution consistante des investissements directs étrangers et du secteur privé tunisien. Le budget a été certes bâti en vertu des recommandations des commissions régionales de développement mais, surtout, en tenant compte des possibilités réelles de financement, très en deçà des attentes populaires. Car, même sous Ben Ali, les régions demandaient le renforcement de toutes les infrastructures, routière, sanitaire et scolaire, mais ce sont les priorités du budget qui empêchent les réalisations. Cette situation a fait que les sphères gouvernementales ne sont pas satisfaites du projet car il n'atteint pas le minimum aspiré. Le gouvernement a été obligé de faire des choix difficiles comme celui de l'augmentation du prix des carburants, ou de la proposition de retenir des journées de travail. «Le gouvernement est conscient que les salariés, en général, traversent une période difficile en raison de l'appauvrissement systématique pendant des décennies de la classe moyenne, en plus de la hausse des prix. Toutefois, suite à la révolution, l'économie du pays a besoin de reprendre du souffle et le gouvernement doit cibler trois priorités que sont l'emploi, le développement régional et la lutte contre la pauvreté. Donc, il fallait faire des choix dans les dépenses publiques», a expliqué un des ministres. «Pour obtenir les fonds nécessaires au financement des dotations accordées aux familles pauvres, il a fallu augmenter le prix des carburants. Les 50.000 familles nouvellement inscrites au registre de pauvreté ont nécessité plus de 50 millions de dinars au budget de l'Etat», a-t-il ajouté. «Il y a donc des choix à faire, en gardant en tête qu'on est dans l'obligation d'aller dans le sens de la concrétisation des objectifs de la révolution. A titre d'exemple, la lutte contre le chômage et la pauvreté passe avant l'amélioration des situations sociales, qui peuvent attendre l'année suivante, ou encore, décider l'ajout de 100 millimes au prix d'un litre d'essence, pour aider plus de 200.000 familles qui sont dans la précarité totale», a-t-il conclu. C'est finalement autour de ces priorités que s'est effectué l'essentiel des débats sur la Loi de finances complémentaire, sans oublier les répercussions de l'instabilité des taux de change. La loi de finances initiale a été calculée sur la base d'un baril de pétrole à 100 dollars avec des cours évaluant le dollar à 1,4 dinar. Aujourd'hui, le baril a largement dépassé les 100 dollars, alors que le dollar frôle 1,5 dinar, ce qui constitue au moins cent millions de dinars de plus pour les dépenses publiques, voire beaucoup plus, si la tendance continue. Les sphères gouvernementales ont également attiré l'attention sur le fait que les répercussions de ces fluctuations ne se limitent pas au coût des carburants à la pompe. Mais elles s'étendent aux subventions accordées par le gouvernement aux coûts de l'électricité et autres sources d'énergie dans l'industrie. L'ardoise de ces subventions dépasse les deux milliards de dinars. Le moindre dollar de plus se chiffre à trente millions de dinars sur la balance des paiements s'il persiste dans la hausse et s'il n'y a pas de sinusoïde dans les cours. Une autre enveloppe attire également l'attention dans le projet de la Loi de finances complémentaire. Il s'agit de la caisse de compensation qui a nécessité en 2011 des fonds supérieurs à 1200 millions de dinars et on prévoit une enveloppe équivalente en 2012 pour maintenir les prix des produits de base et du transport public. Pour effectuer ces dépenses, l'Etat a besoin de renflouer ses caisses par la perception des taxes, notamment, les impôts. La Loi de finances complémentaire prévoit des recettes fiscales de près de neuf milliards de dinars, soit l'essentiel des revenus du Budget de l'Etat. Or, en 2011, le recouvrement des créances de l'Etat a été amputé de 50%, «d'où la nécessité de lancer un projet de réconciliation entre l'administration fiscale et les entreprises en défaut de paiement pour régulariser leur situation et, aussi, de lancer des mesures dissuasives pour les récalcitrants», ont souligné les sphères gouvernementales qui ont peur que «l'Etat ne parvienne pas à recouvrir son dû». Le projet du budget ne s'est pas limité au social. «Le développement et l'investissement représentent des soucis majeurs pour aider dans la lutte contre la pauvreté et le chômage, surtout dans les régions pauvres. Nous comptons renforcer les projets de développement en tant qu'Etat en lançant des projets d'infrastructures de bases et en initiant les gros travaux qui ne peuvent être du ressort des privés». Pour ce qui est de la croissance, les mêmes sources affirment que «l'on table sur une croissance de 3,5 %», qui pourrait évoluer positivement, ou négativement suivant l'évolution de la situation sociale. Quant au déficit budgétaire, il serait de l'ordre de 6 %. Donc, le développement régional et la lutte contre la pauvreté représentent les principaux casse-têtes du gouvernement, dans l'établissement de sa Loi de finances complémentaire. Mais, les solutions proposées vont-elles satisfaire les politiques et, surtout, les citoyens ?