«Je suis le deuxième Secrétaire général du CPR, après Moncef Marzouki ». C'est ainsi que Mohamed Abbou, nouvellement élu à la tête du CPR, à la faveur d'un bulletin de vote annulé, balaiera d'un revers de main la période de transition tumultueuse du Congrès pour la République, depuis le départ de son leader, Moncef Marzouki, au palais de Carthage. Il niera, dans un même temps, le leadership de Abderraouf Ayadi durant cette même période. Mohamed Abbou cumulera ainsi ses fonctions de chef de parti, avec celles de ministre de la Réforme administrative. Ce cumul de mandat suscitera de nombreuses critiques et d'interrogations sur un éventuel retour d'un parti-Etat, et la possibilité de gérer et dissocier ses fonctions partisanes et celles de ministre, au service de tous les Tunisiens. Le portefeuille de la Réforme administrative, secteur que Mohamed Abbou affirme vouloir réorganiser et restructurer, éveillera des soupçons quant à la recrudescence de conflits d'intérêts et de népotisme, déjà constaté au sein d'autres ministères tenus par des cadres du CPR. Sans compter, enfin, la possibilité matérielle, pour le nouveau numéro 1 du CPR, de mener à bien ses deux missions, conjointement. Mohamed Abbou, ministre de la Réforme administrative, veut-il réduire le nombre d'heures de travail dans les administrations, pour devenir, à son tour, ministre à temps partiel? Lors de la conférence de presse organisée aujourd'hui 15 mai 2012, au siège du CPR, à Tunis, Mohamed Abbou répondra que les deux fonctions dont il a, à présent, la charge, ne sont pas conflictuelles, à partir du moment où rien ne prouve son absence de neutralité au sein de son ministère. « Je demande qu'on me juge sur mes actes et non sur des procès d'intention, et si on m'apporte une preuve concernant ce manque de neutralité, faisant état d'un favoritisme quelconque, on en reparlera », a-t-il déclaré en substance, reprochant, à demi-mots, le népotisme ayant touché d'autres ministres du CPR, à savoir Abdelwaheb Maâter et Sihem Badi. Il affirmera, en outre, que les fonctionnaires affectés à la Réforme administrative relèvent généralement du Premier ministère, ajoutant que ses tâches en tant que SG du CPR se feront en dehors de ses heures de travail en tant que ministre. Durant cette conférence, Mohamed Abbou sera, en ce sens, réticent à répondre aux questions concernant ses fonctions gouvernementales : « Si je réponds à ces interrogations, vous allez m'accuser de mélanger les deux fonctions », ironisera-t-il. La question du cumul des mandats n'est pas une nouveauté tunisienne. C'est au contraire une polémique continuelle, dans de nombreux pays dits démocratiques, entre ceux qui dénoncent le principe, et ceux qui, faute de le défendre, n'y voient pas d'inconvénient. La France, malgré les multiples remous suscités par cette question épineuse, où des personnes pouvaient être à la fois au gouvernement et élues au niveau local, etc., jusqu'à cumuler, parfois, quatre mandats, connaît encore des problèmes de cet ordre. La question particulière du cumul de mandat de président de parti politique et de ministre s'était posée en 2004, sous la présidence de Jacques Chirac. Ce dernier, lors de son discours traditionnel du 14 juillet, s'était clairement opposé à ce type de cumul. Nicolas Sarkozy, élu à la tête de l'UMP, avait alors été contraint de quitter son poste de ministre. Cependant, suite à un remaniement ministériel, et Jacques Chirac ayant, semble-t-il, cédé aux pressions exercées par l'opinion publique, Nicolas Sarkozy marquera son retour au gouvernement, tout en étant chef de l'UMP. En Tunisie, la question s'était déjà posée lors du gouvernement transitoire de Béji Caïd Essebsi. Dès son arrivée au Premier ministère. M. Caïd Essebsi décidera d'interdire à tout candidat pour les élections, un poste de ministre au sein de son gouvernement. Ce qui conduira à la démission instantanée de Ahmed Nejib Chebbi, notamment. Après les élections, lors des débats sur le projet de loi portant sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics, la question se pose de nouveau, entre une opposition majoritairement contre ce type de cumul, et une Troïka qui n'y verra pas d'inconvénient, imposant simplement au président de la République tout cumul de mandat. Ce dernier sera donc tenu de démissionner de son parti et de léguer son siège de député. Le Premier ministre, en l'occurrence Hamadi Jebali, par contre, ne devra délaisser que son siège d'élu à la Constituante, gardant, de fait, son poste de Secrétaire général d'Ennahdha, jusqu'au prochain Congrès du parti. Les autres ministres, et le président de l'Assemblée constituante, pourront quant à eux, garder l'ensemble de leurs fonctions au sein de leurs partis, y compris leur siège de député. Des ministres du parti Ennahdha, après avoir été nommés, ont émis de nombreuses critiques quant à ce cumul, jugeant difficile d'être au gouvernement et député à la fois. Le premier à démissionner de l'Assemblée constituante sera Moncef Ben Salem, d'autres suivront. La question s'est encore une fois posée, récemment, lors d'une visite de Khelil Zaouia à Paris. Ce dernier tiendra un meeting à Aubervilliers pour, selon des militants d'Ettakatol, rendre compte des avancées au sein du ministère des Affaires sociales. Seulement, ce « meeting » d'un ministre-député, sera organisé par le parti Ettakatol, en France. Notons enfin que M. Zaouia, s'il avait voulu participer, en tant que parlementaire, à ce qui est communément appelé la semaine de rencontre entre les citoyens et leurs représentants (théoriquement une semaine par mois, selon le règlement intérieur de la Constituante), a été élu dans la circonscription de Tunis 2. Les frontières entre chacune des fonctions restent floues. La question du cumul des mandats, particulièrement ceux de responsable au sein d'un parti et de ministre, se pose donc, et n'est pas spécifique à Mohamed Abbou. Cependant, lors du congrès du CPR, les 12 et 13 mai courant, Imed Daïmi, adversaire de Mohamed Abbou lors des élections pour le secrétariat général du parti, avait affirmé son engagement de quitter ses fonctions auprès du président de la République s'il était élu. Mohamed Abbou, d'un autre côté, avait assuré qu'il ne démissionnerait pas, mettant cartes sur table, avant les votes. Le résultat du scrutin donne les deux candidats à égalité. Un bulletin annulé et le désistement de Imed Daïmi qui se contentera d'être secrétaire général adjoint du parti, donnera finalement Mohamed Abbou gagnant, malgré sa double casquette. Abderraouf Ayadi, qui a récemment démissionné du CPR, avait mainte fois dénoncé ce type de pratique, comparant son ancien parti à un nouveau RCD, qui voudrait faire main basse sur l'administration et y placer ses pions, commentant ainsi les nominations au sein du ministère de la Femme ou les méthodes de Abdelwaheb Maâter, notamment, en plus de celles de Moncef Marzouki, à Carthage. Le fait est que Mohamed Abbou, en plus de cumuler plusieurs mandats, est justement le ministre de la Réforme administrative, en charge d'assainir le secteur, composé d'environ 500.000 fonctionnaires. M. Abbou dira à ce sujet que les fonctionnaires en Tunisie manquent de discipline, et que pour réduire le nombre d'heures de travail ou mettre en place la semaine des cinq jours, il faut, au préalable faire respecter les règles de ponctualité et augmenter la productivité, très faible, de l'administration. La conférence de presse du CPR était prévue à 13h30, en milieu de semaine. Mohamed Abbou arrivera avec près d'une heure de retard à cause du Conseil des ministres. La quasi-totalité des ministres CPR étaient présents. Crédit dessin : Lotfi Ben Sassi