L'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature (OTIM) a publié, aujourd'hui mercredi 13 juin 2012, un récit détaillé des péripéties de l'incendie qui a ravagé le tribunal de première Instance de Tunis 2 à Sidi Hassine, dans la nuit du 11 au 12 juin 2012 et ayant causé la destruction des locaux, dont voici la traduction intégrale : «Selon les témoignages du délégué de l'OTIM au tribunal de première instance de Tunis 2 ainsi que ceux de magistrats et quelques témoins oculaires, les événements avaient débuté vers 20h30 et se sont terminés vers minuit. Ces événements se sont aggravés en l'absence de forces de sécurité et de surveillance face à un groupe formé de près de 140 personnes qui se sont emparées des locaux du tribunal et ont causé de graves dégâts en dépit des tentatives vaines des citoyens de les en empêcher. 1- Rappel des faits : Les faits ont débuté par la mise à feu de pneus en caoutchouc par des pilleurs sur la route avoisinant le siège du tribunal. Une voiture des pompiers de la Protection civile a été ensuite confisquée et un des agresseurs a pris le volant pour la conduire en direction du tribunal avant d'y mettre le feu. Un militaire a tenté de l'en dissuader, mais en vain, le véhicule a été réduit en cendres. Selon des témoins, des affrontements ont eu lieu entre les trois militaires et les onze agents de sécurité outre les deux agents de la sécurité civile. Ces affrontements ont contraint les militaires et les agents à se retirer. Les agresseurs, dont certains qui lançaient des slogans islamistes et contre le gouvernement, appartiennent à deux groupes distincts, selon les témoins. Le premier groupe, formé de près de 40 personnes représentait les chefs qui dirigeaient les attaques. Le deuxième groupe, comprenant près de 100 personnes, est formé essentiellement de délinquants, d'ados et de jeunes gens. Le premier groupe s'est abstenu d'entrer dans l'enceinte du tribunal et s'est contenté de contrôler les lieux. Alors que le deuxième groupe s'est attaqué au siège, incendiant, pillant et cassant tout à l'aide de cocktails Molotov, d'épées, de sabres, de bâtons … Les agresseurs ont pu accéder, sans grande difficulté, à l'intérieur du siège et ont mis le feu dans la salle d'audience, le secrétariat du tribunal et les bureaux des magistrats, tout en détruisant les équipements, volant les meubles et l'argent et en semant le désordre dans les dossiers et documents officiels. Le juge du tribunal de première instance, Sinene Zbidi, a attesté s'être déplacé en personne vers 21h et a visionné la plupart des infractions et a aidé les citoyens dans leurs efforts à convaincre les agresseurs de ne pas détruire les dossiers juridiques et les documents administratifs. C'est ainsi qu'il a réussi à sauver le registre de commerce, l'archive de la police technique ainsi que les dossiers relevant des chambres correctionnelles et à éviter de les détruire. 2- Les dégâts occasionnés par cette agression Il est à noter qu'aucune blessure physique n'a été enregistrée et que seul le gardien du tribunal avait réussi à s'abriter dans une demeure voisine. Quant aux dégâts matériels, il s'agit de la destruction des équipements, des meubles et des documents en les brûlant, cassant, ou encore en les volant. Il s'en suit que le travail judiciaire sera complètement paralysé dans les prochains jours. Par ailleurs, il apparaît des rapports émanant essentiellement des magistrats que les dégâts apparents concernent ce qui suit : - dégâts touchant les bureaux et la salle d'audience : les flammes ont atteint la salle d'audience, les bureaux des magistrats et le secrétariat. La bibliothèque des avocats a, également, été pillée. Il a été confirmé, aussi, que les bureaux du procureur de la République ainsi que celui de son assistant ont été complètement brûlés outre la mise à feu partielle du bureau de la présidente du tribunal. - Dégâts touchant le matériel informatique : des postes d'ordinateurs ont été cassés, d'autres volés, ce qui engendre la perte des données qui y sont stockés dont notamment, les énoncés des verdicts et des affaires en cours. - Dégâts touchant le mobilier et le matériel des bureaux : les attaques ont touché au mobilier, volé ou cassé, des robes d'avocats brûlées, d'autres robes volées ainsi que le pillage des bureaux, plus précisément l'argent saisi en espèces. - Dégâts touchant les dossiers et documents : la mise à feu d'une partie du service d'exécution des jugements d'ordre pénal et la destruction des PV de police. 3- la lenteur des forces de sécurité Cette agression a été favorisée par l'absence totale de forces de sécurité préventives ni permanentes qui auraient protégé le siège du tribunal se situant dans un endroit assez isolé. Les 3 militaires et les 11 policiers présents au début des troubles se sont vite retirés, faute de l'arrivée du renfort réclamé. Les témoins oculaires ont affirmé que c'est grâce aux efforts déployés par les citoyens volontaires, que les dégâts ont pu être limités. 4- Observations Compte tenu de ces faits on constate ce qui suit : - la gravité de cette attaque perpétrée contre le tribunal de première instance de Tunis 2, le premier tribunal ciblé dans le Grand Tunis, dénote d'un signe de sérieux troubles dans le pays. - la continuité des agressions contre différents tribunaux, par l'incendie, le vol et le pillage à un rythme soutenu depuis l'avènement de la révolution. Ces agressions ont ciblé près de 20 tribunaux qu'ils soient des cours d'Appels (Gabès, Monastir …) ou bien tribunaux de première instance (Grombalia, Gafsa, Bizerte, Sousse, Kébili, Jendouba …) ou encore tribunaux cantonaux (Moknine, Mejez El Bab, Boussalem, Tebourba, Regueb…). La dernière agression en date est celle de la cour d'Appel de Bizerte, atteignant ainsi plus de 15% de tous les tribunaux au nombre de 139. - Absence totale de diagnostic des agressions répétées contre les tribunaux et le manque d'une conception ou de plan sécuritaire pour y faire face, et ce, malgré les multiple requêtes émises par les représentants des magistrats et les nombreuses promesses du pouvoir exécutif représenté par les ministères de l'Intérieur, de la Justice et de la Défense. - la non considération des répercussions de telles agressions sur la situation morale et les besoins de protection des intervenants dans le secteur judiciaire, comme les juges, cadres et agents de tribunaux, et des assistants aux juges, ce qui signifie que le secteur ne fait pas partie des priorités de la politique générale du pays, contrairement à ce que nécessiterait cette phase ». Président de l'OTIM, Ahmed Rahmouni Communiqué