A la veille des élections du 23 octobre 2011, tout semblait au point pour un décollage immédiat. Malgré les critiques qui pourraient l'accabler, l'équipe à Béji Caïd Essebsi a, un tant soit peu, laissé des chantiers à ciel ouvert, mais aussi des réalisations sur lesquelles il fallait capitaliser. C'est, donc, à Hamadi Jebali et à son team pléthorique que revenait la tâche de continuer sur la même lancée. Avec à leur compte, un capital-confiance assez intéressant, le chemin semblait balisé pour mettre le pays sur les rails, mais rien de cela n'a été réalisé. Car, il fallait, peut-être, prendre en considération, un élément tuniso-tunisien de prime importance : nous n'avons pas de culture de continuité. Pis encore ; la rupture – comprendre la destruction de ce qui a été entrepris par le prédécesseur– est profondément chez certains. Et bon nombre de ministres de ce troisième gouvernement post 14 janvier ne semblent pas déroger à cette règle. Au passage, c'est le pays qui en-pâtit. Néanmoins, force est de constater que Hamadi Jebali, en bon chef de Gouvernement, se démène dans tous les sens afin de réussir sa mission. D'ailleurs personne, ni de la Troïka encore moins de l'opposition, ne critique, gratuitement, son action, l'homme ayant ses limites, son manque d'expérience et ses idées héritées d'un long vécu fait de clandestinité, d'opposition et d'oppression. Et puis, «l'hirondelle» ne fait le printemps. Aussi, dans son œuvre, Jebali n'a pas eu l'embarras de choix puisqu'on a constaté, dès les premières tractations pour la composition de ce gouvernement «qui vacille», que la distribution des postes s'est faite dans un souci politico-partisan basé su les alliances de la Troïka et de ses caciques. L'on se retrouve, ainsi, avec une pléiade de d'hommes qui, pour bon nombre d'entre eux, sont reconnus pour leur… incompétence. Le seul critère de leur choix étant le nombre d'années passées en prison ou le degré de militantisme sous l'ancien régime de Ben Ali. Le problème réside, en plus, dans leur conviction qu'ils méritent les postes qu'ils ont eus et qu'ils se croient les meilleurs. Des ministres (ou des conseillers) qui se permettent des écarts de langage, de conduite ou de position. Ayoub Massoudi, conseilleur (démissionnaire ou démis ?) l'a confirmé récemment. Et les nouveaux « parvenus » de la République – et nous n'allons pas les citer par respect à la République- n'arrêtent pas de cumuler et de multiplier les frasques. Et pour certains d'entre eux, leurs rejetons et proches leur emboîtent le pas. Ce qui inquiète, dans ce contexte, est le mutisme intriguant observé par M. Jebali Et ce fut son chef et vrai patron au pouvoir en Tunisie, en l'occurrence, cheikh Rached Ghannouchi ! Jebali qui a fait, le premier, allusion à un probable futur remaniement ministériel alors que la responsabilité en incombe, logiquement à Hamadi Jebali. Ce dernier attend-il le feu vert du Cheikh ? On refuse de le croire, car la menace du spectre d'un Parti-Etat serait, alors clairement et cruellement, confirmée. Dès lors que le mot d'ordre est lancé, la machine ne tardera pas à se mettre en branle pour écarter les membres qui semblent faire, plus ou moins, l'unanimité contre eux. Dans le collimateur, les noms de certains ministres sont déjà cités nommément par plusieurs médias de la place. Dans son édition du 17 juillet, le journal Assabah avance même les noms des partants. On citera, plus particulièrement, le ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle, Abdelwaheb Maâter (CPR), le ministre de l'Education nationale, Abdellatif Abid (Ettakatol), le ministre de l'Industrie, Mohamed Lamine Chakhari (Indépendant), le ministre des Finances, Houcine Dimassi (Indépendant) et Mamia El Benna (Ennahdha) ! De son côté, Samir Dilou parle de trois ministères concerné par des changements. Conclusion : nous sommes encore dans la même logique et c'est l'intérêt partisan qui prévaut. Les échéances électorales approchent et il faut préparer le terrain. Néanmoins, sachant que les présidentielles n'auront pas lieu en mars 2013, comme l'a récemment affirmé Béji Caïed-Essebsi, on ne va pas se précipiter. Car, Jebali, la Troïka et même Ghannouchi ne pourraient pas toucher aux « grosses têtes ». Car, si Chakhari (il l'a cherché quand même) ou Abid (l'affaire du baccalauréat) ou El Banna (victime collatérale) peuvent « sauter », on voit mal qui est-ce qui pourrait « déboulonner » de son poste, par exemple, le ministre de l'Enseignement supérieur Moncef Ben Salem – dont la responsabilité (directe ou indirecte) dans les événements qui ont secoué l'université tunisienne et dont les déclarations ambigües, contradictoires et offensantes ont attisé les animosités, notamment contre le gouvernement. Dans un degré moindre, nous citerons Noureddine Khademi (constat d'échec sur la préservation des mosquées des courants salafistes radicaux) … Ce fut, aussi, le cas du Cpréiste Mohamed Abbou, protecteur en chef de la partialité administrative et qui, jusqu'à sa démission, cumulait les fonctions de membre du gouvernement et de secrétaire général de son parti ! Toutefois, Abbou jouissait de bonne réputation et de connexions solides au sein du gouvernement et même si son travail plaisait de moins-en-moins aux locataires de la Kasbah, (lui même en est un), par les refus de donner une suite favorable à ses requêtes, il a été poussé vers la sortie. La démission n'a pas été, à notre sens, une sortie honorable, mais c'est à moindre coûts pour la Troïka, même si Abbou (nouvel homme fort du CPR) sera un négociateur moins complaisant que Marzouki ! Bref, un remaniement est toujours le bienvenu, s'il aboutit à des changements réels. Mais, le gouvernement de Jebali en-est-il capable ? Ennahdha, qui domine la Troïka et l'ANC, acceptera-t-il l'installation de technocrates, un mot qui sonne mal aux oreilles des cadors de ce parti ? Cependant un remaniement, demandé à cor et à cri par la société civile, les économistes et les observateurs depuis quelques moins, serait-il le premier jalon d'une manœuvre visant à retarder au maximum la date des élections ? La Troïka essaie-t-elle d'ajourner cette échéance, abstraction faite de l'intérêt suprême de l'Etat ? Car, pour assurer les conditions sine-qua-non de «réussite», les nouveaux responsables auront besoin de temps. Toutefois, la Tunisie peut-elle en-offrir ? Ce sera très difficile, voire impossible, de se permettre cela dans le sens où les changements concerneraient trois principales administrations, en l'occurrence la Formation professionnelle et l'Emploi, les Finances (selon Assabah) et la Banque Centrale (qui est déjà confirmé). Les ministres dits « indépendants » laisseront des places à des courtisans ou à des candidats pour baliser le terrain à d'éventuelles coalitions. Dès le départ, nous savions qu'en dehors de ses déclarations farfelues, Maâter n'était pas le ministre-providence pour dynamiser l'emploi. Succéder à Said Aidi ne lui a pas facilité la tâche, certes. Mais, la polémique qui a entouré sa nomination et sa prise de fonction aurait pu mettre la puce à l'oreille du gouvernement. Mais, pour préserver l'équilibre précaire de la Troïka et ménager les susceptibilités de Marzouki (on avait besoin de lui à cette époque-là), Jebali ou son parti ont fermé l'œil sur cela. Quant au domaine financier, respectivement Nabli et Dimassi, ils font peut-être les frais d'un caractère bien trempé, peut-être de leur indépendance, mais surtout de l'aspect stratégique des administrations qu'ils dirigent. Celui qui mettra la main sur les finances, notamment l'aspect fiscal et la BCT (planche à billets entre-autres) aura acquis des atouts indéniables pour battre n'importe quel adversaire lors des prochaines joutes électorales. A moins que la formation de Nida Tounès de BCE ne le voie d'un autre œil…