A chaque semaine ses scandales politiques, dans cette Tunisie révolutionnaire. Cette fois, ce n'est pas Moncef Marzouki qui a occupé le devant de la scène en la matière, mais les députés. Ça a commencé lundi dernier avec le rejet de la demande de la levée de l'immunité parlementaire de la dénommée Samia Abbou. Ainsi en ont décidé ses pairs de la commission du règlement intérieur et de l'immunité au sein de l'Assemblée nationale constituante. Mme Abbou, rappelons-le, a accusé Béji Caïd Essebsi d'avoir assassiné Chokri Belaïd. Croyant, naïvement, que la justice est au dessus de tout, dans un pays gouverné par des islamistes qui se disent pieux, l'ancien Premier ministre a déposé plainte. Le juge d'instruction a fait son travail, conformément à la loi, mais les députés ont interprété, à leur façon, l'article 8 de la Loi numéro 6 de l'organisation provisoire des pouvoirs stipulant « qu'un député ne peut être poursuivi devant la justice ou être arrêté pour ses opinions ou ses propositions exprimées ou autres actions entreprises dans le cadre de son mandat parlementaire ». Samia Abbou n'a pas exprimé d'opinion, mais a lancé une accusation dénuée de toute preuve. Elle n'a pas parlé au sein de l'ANC, mais en dehors. Elle ne cherchait pas à rétablir une vérité et l'Etat de droit, mais à marquer des points politiques contre son adversaire. Elle ne s'est pas comportée en élue responsable, mais en femme politique partisane. Ses pairs de l'ANC voient les choses autrement cependant : la loi, on s'assoit dessus, elle est élastique et on en fait ce qu'on veut, on est la plus haute autorité de l'Etat ! Pour eux, Samia Abbou n'a fait qu'exprimer une opinion politique. Cette politique de deux poids-deux mesures est courante chez les élus de l'ANC. Quand l'élu d'El Moubadara, Karim Krifa a été traité de sale RCDiste par un groupe de députés et qu'il leur a répondu « Le RCD est votre maître », il a été totalement lynché. La scène s'est, pourtant, déroulée au sein de l'ANC et c'était clairement l'expression d'une opinion en réaction à une insulte. Idem quand Mahmoud Baroudi a parlé de république bananière. Métaphore pour illustrer le niveau dans lequel ses pairs se sont abaissés. Seulement voilà, au Bardo, les opinions de MM. Baroudi et Krifa sont considérées comme des injures. Mais les injures de leurs pairs ou l'accusation de Mme Abbou sont considérées, elles, comme des opinions ! Mardi, les élus de l'ANC devaient voter la motion de censure contre Sihem Badi, ministre de la Femme. Ils étaient 90 à voter contre cette motion. Mme Badi a beau traîner des casseroles, elle a beau faire preuve de mauvaise gestion des deniers publics, elle a beau susciter la polémique, il y a au moins 90 députés pour dire « chèvres, même si elles volent ». Il y a au moins 90 députés qui ne cherchent pas à rétablir l'Etat de droit. Il y a au moins 90 députés à se comporter en politiques partisans au lieu d'être des élus responsables. Vendredi, nos élus ont réussi à tomber bas, bien bas. Ils discutaient de leurs émoluments et cherchaient à augmenter leurs revenus. En toute illégalité si l'on se tient à l'analyse d'Ahmed Rahmouni de l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature. Un des élus a crié au scandale, il s'appelle Mongi Rahoui. Il a été traité de chien ! Par qui ? Par une élue nahdhaouie qui se dit islamiste. Qui se dit ambassadrice des nobles valeurs de l'Islam. Qui se dit élue garante de l'intérêt des Tunisiens. Mais chez cette élue, les intérêts des Tunisiens passent après les siens. S'ils passent déjà ! Les scandales au niveau de l'ANC se succèdent et ils n'ont jamais cessé. Une bonne partie des députés font peu de cas de la loi, de la justice et de l'Etat de droit. Et pour paraphraser l'élue nahdhaouie, ils sont là comme des chiens obéissants à leurs maîtres. Comme des chiens en train de ronger un os. Des béni-oui-oui qui, comme sous Ben Ali et son RCD, ne sont que de petits exécutants de basses manœuvres. Les exemples de bassesse sont nombreux. Très nombreux. Il y a quelques mois, des élus ont proposé qu'on libère les assassins présumés du martyr Lotfi Nagdh, déniant ainsi tout le travail de l'instruction judiciaire. Abderraouf Ayadi, la conscience de la Révolution disait l'autre, est aux premiers rangs pour faire voter une loi excluant ses adversaires politiques, sous prétexte qu'ils sont corrompus. Il oublie juste qu'il figure parmi les plus grands adeptes de l'école buissonnière, avec un taux de présence à l'ANC de 9% seulement, selon l'observatoire Marsad. Habib Khedher, qui dépose plainte contre l'universitaire Raja Ben Slama parce qu'elle a exprimé une opinion qui lui a déplu. Habib Ellouze accuse publiquement, à la télévision et sans l'once d'une preuve, la journaliste-bloggeuse Olfa Riahi d'être manipulée par des puissances étrangères (insinuant Israël). Celle-ci dépose une plainte, elle attend encore ! Mustapha Ben Jaâfar ose cette grossièreté et nous dit que ses députés sont les moins payés au monde. Faux ! Dans les démocraties, les élus ne sont pas payés entre dix fois et trente fois le SMIG, comme chez nous ! Tous les jours, les 217 députés de l'ANC nous parlent de légitimité et protestent haut et fort contre quiconque qui oserait mettre en doute cette légitimité. Selon eux, c'est le peuple qui les a élus. De quel peuple parlent-ils ? La moitié du peuple ne s'est pas déplacée aux urnes le 23 octobre 2011. L'autre moitié était dans un état comateux, excitée par sa participation à une élection démocratique et pressée d'avoir une constitution et un gouvernement élu. Une partie du peuple s'est fait embobiner par un mouton offert à l'aïd, une circoncision la nuit du Destin ou un mariage collectif en été. Les élus avaient un mandat très clair : rédiger la constitution. Ils n'étaient pas supposés pondre des lois, comme celle de l'immunisation de la révolution, celle liberticide contre la presse et encore moins celle revalorisant leurs primes et revenus. Les élus avaient un délai très clair : un an qui s'est achevé le 22 octobre 2012. Pour toutes ces raisons, les élus de l'ANC ont cessé d'être légitimes. Ils n'ont pas respecté les délais du mandat, ils n'ont pas respecté l'objet du mandat, ils n'ont pas respecté le peuple qui les a élus. Des élus qui vous collent des procès, qui vous accusent, qui échappent à la justice, qui s'absentent, qui ne respectent ni les électeurs, ni la loi, ni l'Etat de droit, ces élus ne peuvent pas imposer le respect. Vu le niveau que les choses atteignent par moments et vu le spectacle tragi-comique qu'offrent nos députés à la télé lors des plénières, certains députés deviennent la risée de tous. Ils sont pour beaucoup synonymes de médiocrité, d'avidité et de mauvaise foi ; ils se déclinent en : hystériques, cyniques, muets et sont dans la plupart des cas sourds aux attentes de ceux grâce à qui ils sont là. Alors précaution oblige, si, par tout hasard, vous croiseriez un député dans la rue, méfiez-vous en comme la peste. Il va certainement vous embobiner. Et si vous refusez de vous laisser faire, il pourrait vous coller un procès, sans que vous ne puissiez rien lui faire en retour ! N.B. : Pensée à Sami Fehri et Nabil Chettaoui, sous les verrous depuis des mois, en attente de leurs procès