Salma Bouraoui, une étudiante dont la mésaventure est restée jusque- là inconnue du grand public, se trouve aujourd'hui au cœur d'une affaire qui la dépasse et devant un avenir obscur, fermé à toute possibilité de projet réel, notamment celui de faire des études. Pourquoi ? Tout simplement pour avoir osé croire, comme tous les jeunes et même les moins jeunes, au rêve d'un système démocratique en Tunisie et s'être hasardée dans les dédales de la démocratie naissante. La liberté d'expression, droit fondamental et inaliénable, se trouve une nouvelle fois bafouée, condamnée et sanctionnée dans la nouvelle Tunisie de l'après révolution. Le cas de Salma Bouraoui ne se trouve être qu'un exemple parmi tant d'autres de Tunisiens qui se sont vus châtiés pour avoir osé parler et dénoncer des anomalies depuis cette date censée être libératrice du 14 janvier 2011. Jusque là les seuls cas dont nous avons entendu parler ont concerné des personnalités dont les mésaventures ont été médiatisées. Sauf que, sous un pareil régime, qui va à l'encontre des libertés de penser, d'agir et de s'exprimer, les sanctions sont disproportionnelles au délit concerné, peuvent prendre des formes variées et toucher tout un chacun, laissant s'infiltrer l'arbitraire et la passion. Hélas, les fâcheuses habitudes ont la vie dure et la jeune étudiante tunisienne se trouve aujourd'hui en train de crier sa colère car elle voit s'évanouir ses rêves et ses espoirs. Son avenir est fortement compromis. Cette jeune femme âgée aujourd'hui de 24 ans à peine, alors qu'elle était en année de licence, s'est retrouvée vers la fin de l'année scolaire 2011-2012 dans le viseur des responsables de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse et en a finalement été exclue. Salma Bouraoui s'est vu imposer un questionnaire avant de passer devant le conseil de discipline pour être, finalement exclue par le rectorat de l'Université de Sousse, autorité de tutelle de la faculté où elle étudiait, « pour avoir publié un article à l'encontre du doyen », selon les propres termes de la décision de renvoi qui lui a été délivrée. Rappelons brièvement les faits. Dans un article envoyé au journal Le Maghreb, Salma Bouraoui, alors étudiante, a dénoncé une scène qu'elle avait jugée choquante. En effet, aux yeux d'une étudiante, l'épreuve de littérature que sa classe devait passer a perdu de son sérieux en devenant une partie de supplications et de marchandage où un doyen tente de convaincre des étudiants récalcitrants de passer l'examen en question. En effet, ce jour-là n'ayant pas révisé le sujet proposé à l'examen, les étudiants, l'esprit encore échauffé par les idées de liberté et de démocratie fraîchement acquises avec le 14 janvier et faisant l'amalgame avec l'anarchie, ont fortement protesté de n'avoir pas eu la possibilité de choisir entre deux sujets de devoir. Le vacarme et les ripostes étaient si ingérables que le doyen de la faculté fut appelé à la rescousse. Or, loin de son rôle de responsable de faculté et d'académicien, au lieu de rester ferme face à cette aberration, celui-ci, adoptant un paternalisme de bas étage, s'est adonné au marchandage et aux supplications. Tels ont été les faits rapportés par l'étudiante au quotidien en question, et qui lui valurent un renvoi définitif de l'université de Sousse. Salma Bouraoui assume pleinement la publication de son article mais explique que son but n'était nullement de nuire au doyen, bien au contraire ! Elle affirme « j'ai rapporté cette histoire parce qu'elle est éthiquement et scientifiquement inacceptable, j'ai pensé que la publier mettrait au grand jour l'aberration de cette protestation, ce qui l'empêcherait de se vulgariser et de se reproduire à l'avenir» car, ajoute-t-elle « un futur enseignant ne peut pas refuser de passer un examen qu'il est tenu de passer et de surcroit figurant dans le programme de ladite année universitaire » ! Mais le constat est amer, puisqu'il s'avère une fois de plus, qu'Henry James a eu raison de dire « un journaliste ne peut espérer faire du bien sans s'attirer une bonne dose de haine ». Cette sanction même abusive et définitive aurait pu tout de même être acceptée par Salma Bouraoui si elle ne s'était pas transformée en sanction nationale, sortant de l'échelle régionale de Sousse. Puisque deux ans après cette affaire, l'étudiante ne parvient toujours pas à s'inscrire dans une autre faculté même relevant d'une autre université « faute de place » ! Idéaliste et assoiffée de libertés universelles, Salma Bouraoui est aujourd'hui victime d'un système censé être académique, scientifique et objectif. Il s'est malheureusement avéré, avec cette énième « affaire » que ce système est exposé à l'arbitraire, fermé, rigide et profondément injuste à l'image de la nouvelle Tunisie que certains veulent nous servir. Une Tunisie qui est aujourd'hui le théâtre de la naissance d'une « démocratie » fasciste et injuste puisqu'elle légalise le banditisme et criminalise l'exercice des droits civiques. Il faut croire que cette jeune femme, désireuse de reprendre ses études et d'exercer le métier de journaliste a amorcé avec brio la future carrière dont elle rêve, Pierre Nora disait que « le vrai journaliste est celui qui vend la mèche en se brûlant les doigts ». Notons qu'avant de publier cet article nous avons essayé de joindre le doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse pour lui octroyer un droit de réponse mais ce fut sans succès. Il était tantôt en réunion, tantôt sorti, puis on nous promit qu'il nous rappellerait à son retour. Nous attendons toujours…