• Demain, grève générale des universitaires et marche vers la Constituante Le début de la semaine ne fut pas calme à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités à la Manouba contrairement à ce qu'espéraient les étudiants et surtout ceux qui devaient entamer les examens trimestriels. Les événements se succèdent au fil des jours. En fait, un groupe d'étudiants « islamistes » occupent depuis lundi les locaux de l'administration de ladite faculté. Objectif : dissuader les membres du Conseil Scientifique de leur décision relative à l'interdiction aux filles voilées intégralement de passer les examens. Les étudiants demandent également, à l'administration qu'on leur aménage un espace pour faire la prière. Deux revendications auxquelles tiennent les étudiants et qui sont rejetées catégoriquement par les universitaires. Ils étaient d'ailleurs, très fermes pour défendre leur position par rapport à cet acte accompli par « une minorité ». « Nous avons toujours lutté pour la souveraineté de l'Université, et nous continuerons à le faire », défendent les universitaires lors de l'Assemblée Générale tenue hier, à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités à la Manouba. Ils ont décidé d'aller plus loin dans leur position en annonçant une grève générale demain, laquelle sera marquée par une marche vers le siège de l'Assemblée Nationale de la Constituante. Menace En fait, les enseignants ont opté pour cette décision, car ils considèrent que l'Université est menacée par un groupe minoritaire. Mais « ils ne passeront pas », ont-ils déclaré d'un commun accord. C'est dans un amphithéâtre archicomble qu'ils ont exprimé leur position envers ce groupe et surtout le ministère de tutelle qui ne prend pas encore de décision claire et catégorique quant à ce qui se passe dans les enceintes des établissements universitaires. A cette occasion, le Professeur Husein Boujarra, secrétaire général de la Fédération Générale de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique rappelle les incidents qui se sont produits dans les différents établissements avant et après les élections de la Constituante. Il critique à cet effet l'attitude du ministère de tutelle et du gouvernement qui restent passifs par rapport à ce qui se passe. « Il ne faut pas que le ministère de tutelle se limite aux dénonciations », appelle-t-il. Réunion programmée Auparavant, M. Habib Kazdaghli, doyen de la faculté a rappelé que cette réunion était déjà programmée depuis mardi dernier et ce, suite aux événements qui se sont produits à l'Université de la Mannouba et en marge de la réunion du Conseil Scientifique. Le premier responsable a aussi rappelé les faits qui se sont produits lundi, tout en précisant qu'il a contacté le procureur pour faire évacuer l'espace mais aucune réponse favorable ne lui était parvenue. « Nous étions obligés de renter chez nous vers 2 heures 30 du matin tout en laissant les étudiants dans le hall de l'administration. Ils squattent encore l'espace », déclare le doyen. Située à l'entrée de la faculté, l'administration était totalement envahie par les étudiants islamistes. Des filles voilées et d'autres portant le Niqab affichaient des pancartes où on lisait « Dieu est grand » et la Chahada, « J'atteste qu'il n'y a de Dieu que Dieu et que Mohamed est son prophète ». Leurs camarades barbus, portant le « Kamis » et le « Jelbab » les défendaient. Ils discutaient avec les étudiants de l'UGET qui voulaient les dissuader. Mais vainement. Le bras de fer continue et cela risque de virer à des affrontements physiques. « Il n'est pas question de quitter les lieux sans avoir gain de cause », déclarent-ils. « Nous tenons à nos positions », réitèrent-ils. D'autres enchaînent : « les professeurs doivent permettre aux étudiantes portant le Niqab de poursuivre leurs études librement. Cela s'inscrit dans le cadre des libertés individuelles ». Position rejetée par les universitaires qui sont prêts à défendre les libertés académiques jusqu'au bout. Sana FARHAT
Les demandes des étudiants Quatre demandes ont été à la base formulées par les étudiants islamistes. Mais après des négociations ils ont renoncé à leur décision pour maintenir deux demandes à savoir la permission du port du Niqab et l'aménagement d'un espace pour la prière. Les deux autres demandes annulées portaient sur la séparation entre les filles et les garçons en aménageant des classes pour chaque sexe. Les étudiants voulaient également que les filles soient encadrées par des enseignantes.
La position de l'Administration Commentant les revendications, M. Kazdaghli annonce que les décisions prises par le Conseil Scientifique le 2 novembre tirent leurs prérogatives du règlement intérieur de la faculté et qu'elles sont indiscutables. Pour ce qui est de l'aménagement d'un espace pour la prière. « Je considère que c'est une demande logique, des courriers ont été adressés au ministère pour aménager un espace dans le campus universitaire en dehors de l'enceinte de l'université », précise le doyen.
Démonstration de force "Nous sommes solidaires" Un groupe de jeunes barbus se sont présentés hier après-midi devant la Faculté « pour soutenir leurs frères et sœurs dans l'Islam ». « C'est vrai nous ne sommes pas des étudiants, mais c'est de notre devoir d'être solidaires avec celles qui revendiquent leur droit à porter librement le Niqab ou avec ceux qui demandent un espace pour faire la prière », déclare Wissem qui était présent avec le groupe. Mais à quel mouvement ou courant appartiennent ces jeunes ? « Nous sommes indépendants », tenait à dire le jeune homme. Un argument pas très convainquant car, il était clair que ce groupe se connaît très bien. Excités, les jeunes barbus répétaient à l'unisson des chansons où l'on peut entendre des paroles comme « Djihadistes ». S.F
Réactions… Réactions… Réactions Nous avons, ici, invité quelques personnalités pour recueillir leurs réactions suite à l'attaque par les salafistes, lundi, de la faculté des lettres de la Manouba et la prise en otage du doyen et d'une trentaine d'enseignants.
Mme Souheïr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des Droits de l'Homme (FIDH) : "On a l'impression que le pays n'est plus dirigé" «Je trouve que ce qui s'est passé est scandaleux. Le Doyen a été extrêmement courageux. Il a rempli son devoir avec courage et détermination. Il aurait fallu que les autorités réagissent immédiatement, ce qui est en train de se passer est un glissement dangereux. Cela donne l'impression que le pays est entre les mains de bandes de voyous lâchés sur le terrain et faisant ce qu'ils veulent. Ce pays a des lois et nul ne doit se placer au dessus de ces lois. Imposer à la hiérarchie d'une institution d'enseignement la volonté de bandes qui agissent par la terreur et la force ne peut que mener à l'anarchie et risque de faire courir à la société tunisienne des dérapages incontrôlés et incontrôlables. Le Doyen a eu le sens de la responsabilité en refusant l'intervention des forces de l'ordre à l'intérieur de son institution qui est sacrée. Aujourd'hui, on constate un laisser-aller de la part des autorités, de la part des partis et singulièrement de la part d'Ennahdha qui, à plusieurs reprises n'a pas pris de position concernant le comportement, ô combien condamnable des salafistes. Si on continue à fermer les yeux sur les enseignants attaqués parce qu'ils n'ont pas de tenues conformes du point de vue des salafistes, si on continue à vouloir imposer à des doyens des étudiants qui portent le Nikab cela donne l'impression que le pays n'est pas dirigé. Il est urgent que tous, non seulement, expriment leur solidarité au doyen de la faculté de la Manouba mais que tous condamnent fermement ce genre de pratiques".
Ahmed Ounaïes, ancien ministre des Affaires étrangères : "Ennahdha tarde à définir sa politique" "Je crois le parti Ennahdha a trop tardé à définir sa politique culturelle et sociale. Ces extrémistes salafistes provoquent plus Ennahdha qu'ils ne provoquent la société tunisienne connue par sa modération et sa tolérance et ils le savent très bien. Ennahdha, parti majoritaire et qui va diriger le gouvernement, tarde trop à définir sa véritable politique. Il est maintenant à l'épreuve et c'est à lui de se positionner et de se prononcer clairement sur la question des libertés pour montrer s'il mérite de gouverner le pays ou bien il n'est, au fait, qu'un parti rétrograde qui va faire régresser les libertés et les acquis de la Tunisie » ;
Mokhtar Trifi, ex-président de la Ligue Tunisienne de Défense des Droits de l'Homme (LTDH) : "La société doit rester vigilante" «Ces agissements sont inacceptables ces agissements. Je reproche aux forces de l'ordre de ne pas intervenir. La société doit rester vigilante. Le gouvernement doit réagir et faire appliquer la loi. Ces extrémistes salafistes veulent nous intimider et établir un état de droit qui n'est pas le nôtre. J'appelle les autorités, les partis, en particulier Ennahdha, le Congrès pour la République et Ettakatok à prendre position et à réagir face à ces graves agissements ».
Abdeljelil Bouraoui, ancien bâtonnier : "Garantir la liberté des croyances" «Il faut condamner toutes les formes de violences physiques et morales, et refuser de vouloir imposer par la force la manière de s'habiller. Il faut garantir la liberté du choix des croyances et la protection de tous sans faire de distinction. Il faut avec fermeté condamner ces agissements des extrémistes salafistes ».
Mohamed Jemour, ex-secrétaire général du Conseil de l'Ordre des avocats : "C'est très grave" « Ce qui s'est passé est très grave et cela montre que la Tunisie pourrait vivre une période très difficile si la société civile et les partis démocratiques ne s'opposent pas avec fermeté à ces agissements et si le gouvernement n'assume pas ses responsabilités en éradiquant ces pratiques rétrogrades ».