Accusé d'actes de violence commis par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, le doyen de la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba encourt jusqu'à cinq ans de prison. Deux heures de grève seront observées au moment de son procès aujourd'hui dans plusieurs universités tunisiennes. «Cette pétition de soutien au doyen Habib Kazdaghli a été adoptée par une cinquantaine de constituants. Nous avons engagé, il est vrai, cette action tout récemment, le document sera signé dans les prochaines heures par plusieurs autres noms provenant de différents groupes parlementaires, qui ont promis de rallier le mouvement. Nous nous engageons également à inscrire dans la nouvelle Constitution le droit à la liberté de l'information et de la création ainsi que les libertés académiques», annonçait avant-hier la députée de l'ANC, Salma Baccar dans la salle Hassan Hosni Abdelwahab. Les applaudissements fusent. La salle de conférence de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba est archicomble. Des représentants des syndicats de base de l'enseignement supérieur, de plusieurs associations de femmes et de droits de l'Homme prennent tour à tour la parole pour assurer leur appui au doyen, dont le procès s'ouvre de nouveau aujourd'hui à partir de 9h du matin au Tribunal de première instance de La Manouba. A la fin de la réunion, la chef du département d'anglais s'est entretenue d'urgence avec Habib Kazdaghli : «Ce matin, une étudiante portant le nikab a refusé de dévoiler son visage pendant un cours d'anglais. L'enseignante a été menacée par des groupes de barbus venant à la rescousse de la jeune fille». «Vous devez porter vous aussi la tenue islamique», lui a-t-on répété. Le professeur a dû quitter la salle. Voici son rapport, alerte-t-elle. Le doyen pâlit. Le calvaire de l'année universitaire passée va-t-il reprendre de nouveau? Ce calvaire, qui a provoqué sa comparution devant la justice depuis le début de l'été dernier. Hystérie En novembre 2011, le Conseil scientifique de la Faculté de La Manouba adopte, pour des raisons pédagogiques et de sécurité, un règlement intérieur interdisant le port du voile intégral dans les salles de cours et pendant les examens. Les étudiants sont tenus de signer le document au moment de leur inscription à l'université. Mais les troubles violents et les sit-in non-stop, qui ont agité les murs de la Faculté de La Manouba, ont poussé le Conseil scientifique à exclure quelques éléments, parmi ceux qui ont sérieusement perturbé les cours. Il est 14h40 ce 6 mars 2012 lorsque deux étudiantes, Imen Berrouha et Fattouma Hajji, s'introduisent dans le bureau du doyen. La première inscrite en première année arabe vient d'être renvoyée de la Faculté pour une période de six mois, son amie devait comparaître devant le conseil de discipline le 17 mars. Elles mettent son bureau sens dessus-dessous, il tente de les arrêter, puis sort porter plainte. «Elles étaient dans un état d'hystérie avancé. J'en ai vu de toutes les couleurs depuis le début de l'année universitaire, on m'a harcelé quotidiennement, insulté et diffamé au cours de prêches clamés juste au-dessous des fenêtres de mon bureau, mais c'était la première fois qu'on forçait ma porte de cette façon», témoigne Habib Kazdaghli. Le lendemain, à la suite de cet incident, un salafiste étranger à la Faculté des lettres profane le drapeau tunisien. Emotion vive dans tout le pays... Accusé d'avoir giflé violemment Imen Berrouha au point que le médecin de l'hopital de la Cité Ettadhamen lui a prescrit (vers 16h30) dix jours de repos, «pour une gifle qui s'estompe au bout d'une heure notamment lorsqu'on est couvert d'un nikab», protestent les avocats du doyen, le Professeur Kazdaghli a vu au gré des mois les charges retenues contre lui, «violences n'entraînant pour la santé d'autrui aucune conséquence sérieuse», sanctionnées par une amende de quatre dinars et quinze jours de prison s'aggraver. En juillet, le choc du Professeur Kazdaghli est grand lorsqu'il découvre que le parquet a requalifié le chef d'inculpation. Il est poursuivi aujourd'hui pour «actes de violence commis par un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions». Il encourt cinq années d'emprisonnement ! «Le soutien ne vient que d'Allah !» «C'est le monde à l'envers. De victime, je deviens accusé», déclare le doyen, qui a vu la chaîne de solidarité de la société civile tunisienne et de la communauté académique internationale s'agrandir autour de son affaire. Par contre, le ministère de l'Enseignement supérieur refusera dès le début de désavouer les jeunes salafistes et accuse le doyen d'instrumentaliser l'affaire du nikab à des fins politiques. Après avoir certifié la nouvelle de son mariage cet été avec Mohamed Bakhti, l'un des deux salafistes décédé la semaine passée en prison à la suite d'une grève de la faim sauvage et ex-leader du mouvement salafiste de La Manouba, Imen s'est refusée de répondre à nos questions : «Je ne veux pas parler à la presse», a-t-elle objecté. «Le soutien ne vient que d'Allah tout puissant ! Se plaindre à un autre que Lui est une humiliation», a ajouté Imen avant de raccrocher rapidement le téléphone. Aujourd'hui par solidarité avec leur confrère, deux heures de grève seront observées par les enseignants de plusieurs universités à travers toute la République. «Notre objectif n'est pas d'influencer la justice, mais plutôt de l'appuyer dans sa quête d'équité et de transparence», assure Habib Mellakh, universitaire, syndicaliste.