L'arrestation du chef de la milice du Kram, Imed Deghij a mobilisé les membres des ligues dites de protection de la révolution et les partis de la Troïka, alors que les partis de l'opposition continuent de briller par leur mutisme comme si cette arrestation était un acte anodin. Encore une fois, en occultant la portée stratégique de cette arrestation, ces partis montrent leurs limites. Dommage. Le mobile avoué lors de l'arrestation d'Imed Deghij était la diffamation et l'incitation à la violence dans une vidéo publiée par lui et partagée par ses partisans il y a quelques semaines. Ce n'était pas la première vidéo publiée par cet individu spécialisé dans l'invective et le discours fasciste au nom d'un purisme révolutionnaire qui ne lui va absolument pas. En effet, son cheminement personnel et son comportement mafieux ont terrorisé et pris en otage une partie de la population de la banlieue nord de Tunis. Il faudrait peut-être voir dans cette arrestation le début de la mise en pratique de l'engagement du nouveau gouvernement à réunir les conditions favorables à l'organisation d'élections libres et transparentes. C'est peut-être pourquoi les partis de la Troïka ont réagi rapidement à cette arrestation. C'est pourquoi aussi, l'apathie des autres partis est incompréhensible. Les vingt cinq membres de l'ANC, représentants de la Troïka et de ses appendices, guidés par la vice- présidente, Mehrezia Lâabidi, qui se sont déplacés précipitamment au ministère de l'intérieur pour exiger de Lotfi Ben Jeddou l'ouverture d'une enquête sur les raisons et les circonstances de l'arrestation de leur protégé Imed Dghij sont conscients de la gravité de cet acte pour l'avenir de leurs partis politiques. Le parti Ennahdha qui est monté au créneau et a publié un communiqué de soutien en faveur de ce milicien, a lui aussi saisi la componction de cet acte, tout comme ceux qui se trouvent derrière ces démonstrations de force dans les quartiers populaires du Kram, à la Kasbah ou au Bardo. Déjà, depuis les années quatre vingt et le début des années quatre vingt dix, des bruits circulaient au sujet de la présence d'une aile armée au sein du parti islamiste. Mais le manque de crédibilité du pouvoir en place rendait difficile de croire aux preuves présentées. Même l'affaire de Bab Souika, les attaques à l'acide contre la population et les attentats du Sahel qui incriminaient les islamistes ont été sciemment banalisés par toutes les composantes de la mouvance démocratique de l'époque, pour ne pas offrir au pouvoir de Bourguiba, puis de Ben Ali, des atouts de répression supplémentaires, qui ne visait pas uniquement les islamistes. Après la révolution, des informations bruitées faisaient état d'une collusion entre le parti Ennahdha et les djihadistes radicaux. Mais il n'y avait pas de preuves pour corroborer ces informations si ce n'est quelques déclarations en aparté de Rached Ghannouchi et autres dirigeants nahdhaouis connus pour leurs positions radicales. Aujourd'hui, l'enquête au sujet des rapports présumés entre certains dirigeants islamistes et les terroristes du mont Chambi piétine toujours. Les informations concernant la présence d'une police parallèle au sein du ministère de l'intérieur, informations confirmées par certains membres des syndicats de police, ont certes été niées par des déclarations publiques et politiques, mais aucune enquête sérieuse n'a été ouverte jusque là. Les révélations d'un ancien cadre des renseignements militaires au sujet d'une éventuelle existence d'une branche armée au sein du parti Ennahdha sont restées, elles aussi, sans suite et n'ont alarmé, tout au plus, que les quelques irréductibles défenseurs d'un Etat civil. En vérité le parti islamiste et ses amis de la Troïka se sont toujours arrangés pour éviter la constitution d'une commission d'enquête indépendante. Et combien même ils annoncent l'ouverture d'une enquête au sujet d'événements majeurs, ils font en sorte que les résultats ne voient jamais le jour. Ceci a été vérifié au sujet des événements du 9 avril 2012, de l'usage de la chevrotine à Siliana, des circonstances de l'assassinat de Lotfi Nagdh, des défaillances administratives qui ont conduit à l'assassinat de Mohamed Brahmi, de l'implication des ligues dites de protection de la révolution dans les attaques contre le siège de l'UGTT et tant d'autres dossiers encore. L'arrestation du chef de la milice du Kram pourrait révéler l'importance de l'implication des partis de la Troïka dans des structures paramilitaires parallèles. Pour éviter qu'une telle collusion, si elle existe, remonte à la surface, ce qui serait catastrophique pour ces partis, ils organisent une véritable compagne pour sauver le milicien Deghij. Face à cette compagne, les forces démocratiques doivent redoubler de vigilance. Il y va de l'avenir de la démocratie et du caractère civil de la république.