Encore une affaire de malversation qui vient s'ajouter au très plantureux tableau de chasse de la Tunisie en la matière. La corruption n'a-t-elle pas, d'ailleurs, frappé à plus hauts lieux après le 14 janvier 2011 ? Indéniable ! Et l'affaire peint en rouge plusieurs balafres suffisamment creuses dans le tissu économique du pays. La corruption, oui mais l'incitation à la fuite de l'investissement étranger de surcroît. C'est l'affaire d'un appel d'offres lancé par la société Promosport pour un gros marché devant rapporter pas moins de 60 millions de dinars à l'Etat. Cependant, quand les pièces tintent, la place est aux magouilles et à celui qui profitera le plus. Voici les dessous d'une affaire peu commune. La société Promosport veut acquérir, installer et mettre en marche un système d'exploitation des jeux en ligne clé en main pour la gestion des jeux de pronostics sportifs. Pour ce faire, elle lance un appel d'offres international, eu égard à la non abondance de prestataires de ce type de services en Tunisie. Seulement quatre candidats se présentent : deux sociétés américaines, une société grecque et une tunisienne. Très vite, l'appel d'offres est jugé infructueux. Les candidats devront rester sur leur faim. En effet, la commission nationale des marchés publics déclarera le cahier des charges défaillant. Pas étonnant lorsque l'on sait que ledit cahier a été confié à un fonctionnaire de la commission ne déclinant pas les compétences nécessaires pour juger de la viabilité du document. Ce sera auprès de nos voisins marocains, que le cahier des charges sera pioché et subira, de fait, les modifications nécessaires afin de le mettre à la sauce tunisienne.
A l'issue du premier appel d'offres, et bien que la déception des retombées fâcheuses se faisait sentir, le représentant de la société américaine, Scientific Games (ayant préféré garder l'anonymat) n'a pas lésiné sur les moyens. Il s'est appliqué à convaincre les gros bonnets de l'établissement dans le but de maintenir l'investissement prévu et de postuler au deuxième appel d'offres organisé pour le même objet. Important à noter, les Américains se sont montrés sceptiques, au départ, quant à l'idée d'investir en Tunisie et ce, eu regard de l'indice de corruption en hausse qui taxe l'intégrité du fonctionnement des mécanismes gouvernementaux et administratifs.
Un deuxième appel d'offres est lancé. Mais il y a un hic ! Aucun avis de consultation n'a été lancé auprès d'un comité d'experts dans le but d'établir le contenu de l'appel d'offres. Un simple « copier coller » d'un cahier des charges marocain qui ne reflète pas la factualité de la disposition propre au domaine d'activité en question a été utilisé. Autre hic, à l'ouverture des plis, les prix des soumissionnaires ont été annoncés à moitié, ce qui est contraire au règlement en vigueur. Le but de cette manœuvre serait, selon le représentant de la société américaine, de pousser ces mêmes soumissionnaires à faire de la surenchère pour décrocher le marché. Toutefois, même si, au deuxième appel d'offres, c'est l'investisseur américain qui a proposé la meilleure offre, plus avantageuse, de 3,5 millions de dinars, il a été recalé. Prétexte : la commission de dépouillements l'a exclue pour non-conformité aux références techniques. Sachant, à ce stade, que la Scientific Games est leader mondial dans le domaine, ce qui est à même de contredire l'excuse de la non-conformité. S'ajoutent à cela, l'offre financière imbattable, comparée aux autres. En fait, la société américaine s'engage dans cet investissement pour s'ouvrir une deuxième porte pour l'Afrique à partir de la Tunisie, le gain n'étant pas, à cet effet, pas la simple participation à l'appel d'offres.
Le représentant de la Scientific Games s'interroge sur les raisons qui expliquent que la commission de dépouillements n'a pas sollicité la société afin d'accéder à des informations supplémentaires concernant l'offre technique. A ce titre, l'investisseur américain a adressé une correspondance à la société Promosport, dans laquelle, il pose les questions suivantes : "Quelle était la composition de la commission de dépouillements ? Quelles sont leurs compétences en matière de pari à cotes ? Comment ont-ils vérifié les références de la SG, avec qui et par quels moyens ? Quelles sont les non conformités citées?"
L'ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique en Tunisie a été sollicité à son tour pour intervenir auprès du ministère du Sport et souhaiter obtenir davantage d'explications, en tant qu'autorité de tutelle de l'investisseur américain. Hatem Boulabiar, DG de la société privée tunisienne Get Wireless déclare à Business News avoir fait son enquête et découvert qu'il y a eu un courrier envoyé par l'ambassadeur des Etats-Unis à l'ancien ministre des Sports, Tarek Dhiab, recommandant la participation d'une entreprise américaine de renom au nom de SGI. Ce courrier que Business News a consulté a été adressé ensuite au chef du gouvernement Mehdi Jomâa quelques jours avant son départ aux Etats-Unis, où il a été prévenu de l'affaire par le PDG de la Scientific Games, Kevin Anderson. La réponse obtenue du comité de suivi et d'enquête des marchés publics a été plutôt approximative, voire douteuse, et ne donne aucune précision quant aux motifs de refus de l'offre. Une enquête a été ouverte, et un membre du comité de dépouillements a accepté de témoigner en faveur de la SG en dénonçant les manœuvres nébuleuses qui ont, à juste titre, conduit à l'annulation, pour la deuxième fois, de l'appel d'offres en question. Dans son témoignage, livré à la commission d'enquête, il déclare qu'aucune recherche sérieuse n'a été effectuée afin d'établir la conformité des références techniques tout en mettant l'accent sur la proximité entre un membre de l'autorité de tutelle (ministère des Sports) et le président du comité de dépouillements qui a joué en faveur du groupement tunisien dans le tri des offres.
L'enquête est toujours en cours. Les autorités compétentes font la sourde oreille quant aux revendications de la SG pour obtenir davantage de transparence sur le déroulement de l'appel d'offres et déchiffrer les vraies raisons qui ont fait qu'elle soit écartée. Le représentant de la société américaine déplore des traitements biaisés de dossiers de la plus haute facture et qui, par ricochet, portent une véritable atteinte à l'image de la Tunisie en tant que destination pour les investissements étrangers.
Nadya B'CHIR A lire également : L'ambassade des Etats-Unis accusée d'ingérence illégale dans un marché public