Encore une fois, en ce mois de Ramadan et pour la quatrième année consécutive après l'avènement de la révolution, les cafés, les restaurants et une bonne partie de citoyens vivent le même manège, à savoir celui de l'impossibilité de manger ou de boire, de jour, dans ces lieux de restauration. Profitant d'un flou juridique et législatif, les différentes autorités concernées, plus précisément les municipalités, les gouvernorats et les agents de sécurité agissent à leur guise et imposent leur diktat. Ainsi, pour le quatrième Ramadan consécutif (2011, 2012, 2013 et 2014), des descentes, parfois musclées, sont enregistrées dans ces lieux pour leur signifier l'obligation de s'abstenir de servir conformément, apparemment, à une note circulaire datant de plus de 30 ans, dite « circulaire Mzali de juillet 1981 ». D'autres parlent d'une circulaire municipale ou émanant du ministère de l'Intérieur, sous le gouvernement de la Troïka. Pour ce qui est de la circulaire Mzali de juillet 1981, elle préconisait entre autres, durant le mois de ramadan, la fermeture des cafés et restaurants, ainsi que l'interdiction de vente de boissons alcoolisées. Mais deux jours, seulement, après sa parution, elle avait été annulée sur décision du chef de l'Etat, à l'époque, Habib Bourguiba. Dans un appel dit des « 177 pour la liberté des pratiques religieuses» paru dans Le Maghreb du 11 juillet 1981, les signataires mettaient l'accent sur «les progrès faits par la Tunisie en matière de tolérance religieuse, lesquels étaient menacés par la montée du courant islamiste et appelaient à une mobilisation générale des Tunisiens pour préserver cet espace de liberté. Plus de trente ans après, le gouverneur de l'Ariana, Baha Eddine Baccari, indiquait, en 2012, que des patrouilles de police ont été déployées, le premier jour de Ramadan, et des mises en garde avaient été adressées aux cafés et restaurants de la cité Ennasr, en application des dispositions pour le mois saint et de la circulaire du ministère de l'Intérieur publiée à cet effet. Autrement dit, pendant ce mois saint de ramadan, les forces de l'ordre sont mobilisées pour faire appliquer une loi inexistante, celle de la fermeture des cafés et lieux de restauration pendant les horaires du jeûne. Cela s'est vérifié, durant ces quatre dernières années. A rappeler que le porte-parole du ministère de l'Intérieur, à l'époque, Khaled Tarrouche n'était pas demeuré en reste en déclarant que la fermeture de ces établissements répond à des « procédures en vigueur depuis plusieurs années et qui ne seraient nullement des mesures exceptionnelles, avant d'affirmer, en ce 21 juillet 2012, que les restrictions étaient appliquées du temps de Ben Ali et que la police ne fait que continuer à les mettre en application… ». Le gouverneur de Tunis évoquait, quant à lui, l'existence d'une circulaire émise à cet effet par le ministère de l'Intérieur, laquelle circulaire, de l'avis de plusieurs hommes de loi, n'aurait aucune valeur juridique, même si son existence était bien réelle. Sans oublier que l'application de cette circulaire fantomatique dépend de l'humeur et des desiderata des forces de l'ordre qui peuvent fermer des lieux de restauration, même dans des centres commerciaux, comme ce fut le cas, il y a deux ans au Centre de Carrefour. Et pas plus tard qu'en ce 2 juillet 2014, des agents des forces de l'ordre ont effectué une descente dans le quartier d'Ennasr, toujours dans le gouvernorat de l'Ariana, l'objectif étant de fermer tous les lieux de restauration ouverts, sauf ceux considérés comme «touristiques», qui gardent le droit de vendre des repas à emporter. Mais d'où tient-il ses pouvoirs ce gouverneur de l'Ariana ? Puisque le ministère de l'Intérieur, contacté par Business News, a démenti formellement avoir donné des ordres en ce sens. Le même département ajoute que ces ordres semblent avoir été donnés par certaines municipalités en se référant à leur code. Ceci veut-il dire que chaque commune applique les lois et les circulaires selon ses propres interprétations ? Il y a bien lieu de craindre de telles orientations ! Autre précision. Un conseiller juridique nous a expliqué qu'il n'y a pas de loi en Tunisie obligeant au jeûne. Selon lui, le gouverneur de l'Ariana (encore lui) se réfère à un arrêté vieux de trente ans qui a été décrété par le gouverneur de Tunis et qui interdit de manger ou de boire en public pendant le mois de Ramadan. Bon à savoir que cette loi, considérée comme étant morte, a été remise à l'ordre du jour par Ali Laârayedh, explique-t-il avant d'ajouter que le gouverneur n'a pas le droit de s'y référer car l'arrêté concerne le gouvernorat de Tunis, outre le fait qu'il n'y a pas de loi explicite obligeant au jeûne. Pour lui, les restaurateurs et citoyens lésés peuvent porter plainte auprès du Tribunal administratif et auraient gain de cause. Ne perdons pas de vue que ces pratiques d'intolérance ont été propagées par cette peur diffusée chez les Tunisiens ayant l'air de dire : mieux vaut appliquer ces restrictions que de se les voir imposées par les salafistes qui faisaient la loi sous l'ère de la Troïka. En effet, les hauts dirigeants et les ministres d'Ennahdha prônaient un discours fondamentaliste. C'est ainsi que Noureddine Khademi, ancien ministre tunisien des Affaires religieuses, n'hésitait pas à affirmer, il y a à peine un an, plus exactement, en ce 6 juillet 2013, que la fermeture des cafés et des restaurants est obligatoire pendant le mois de Ramadan. Pour Noureddine Khademi, « le mois de Ramadan est un mois de jeûne sacré et ouvrir les cafés pendant ce mois n'est pas permis par la religion. Et conformément aux préceptes de l'Islam, qui est la religion du peuple et de l'Etat, toute ouverture de restaurant ou de café n'est pas autorisée, car elle va à l'encontre des sentiments des gens et à l'encontre de l'identité du peuple tunisien ainsi qu'à la sacralité de ce mois, et serait source de dérangement et de perturbations… » M. Khademi demeure, tout de même, ouvert d'esprit et d'une tolérance inouïe puisqu'il estime que «si une personne ne veut pas jeûner, elle est libre, mais elle n'a pas le droit ni de le dire et encore moins de le faire publiquement », selon ses propres termes. Comme on le constate, la Troïka et Ennahdha semblent faire la loi, encore, même après leur départ et l'avènement d'un gouvernement de technocrates. Présents dans certaines administration et mairies, certains ont encore la possibilité de faire imposer des mesures, parfois illégales, sans passer par le gouvernement. Du moins, pour certaines situations où ils ont la latitude de jouer sur la fibre sensible qu'est la religion et, plus précisément le Ramadan. Crédit caricature : Lounis - Le jour d'Algérie Sarra HLAOUI