En cette période d'effervescence électorale pendant laquelle tout le pays retient son souffle en attendant le verdict des urnes, on constate que nous n'avons toujours pas rompu avec l'idée de l'homme providentiel et omnipotent qui va délivrer comme par enchantement, le pays du marasme économique et social. Pourtant nous avons changé de République, nous sommes passés institutionnellement d'un régime présidentiel à un régime parlementaire et malgré cela la figure du président dans l'imaginaire collectif de nos compatriotes reste intacte et concentre, à elle seule, toute l'attention des électeurs et des Tunisiens dans leur ensemble. Le propos ici n'est pas de fournir des explications à ce phénomène persistant. Le plus important est d'anticiper sur le jour après les élections quand les véritables problèmes se poseront et que personne ne sera alors en mesure de les ignorer. La réalité politique du pays telle qu'elle s'est dégagée après les élections législatives du 23 octobre nous amène à nous poser des questions évidentes quant à la gestion des affaires publiques durant les cinq années à venir. Avec ces 39% des sièges le parti vainqueur ne peut en aucun cas gouverner tout seul. Il lui sera très difficile de gouverner même avec une majorité absolue, bien que ça soit techniquement possible. Les raisons de ces difficultés relèvent de l'importance de la période à venir et ce sur tous les plans, économiques, politiques et sécuritaires, pour ne citer que les axes majeurs. La Tunisie a besoin de réformes à la fois douloureuses et inévitables et qui vont nécessiter un courage politique et l'implication de tous les acteurs politiques et sociaux. En d'autres termes, quand on a tous les indicateurs économiques au rouge, quand on a un taux de chômage record, quand l'inflation est endémique, quand la balance commerciale croule sous un déficit chronique, quand les IDE tardent à venir, quand la dette extérieure atteint un niveau record, quand on n'est plus en mesure de créer des richesses, quand la menace terroriste est très forte, quand la conjoncture mondiale est aussi défavorable, et quand les attentes des Tunisiens sont aussi pressantes, la marge de manœuvre du prochain gouvernement sera extrêmement étroite voire inexistante. N'ayant aucune possibilité de différer l'introduction des réformes structurelles profondes, le prochain gouvernement aura besoin d'une large majorité parlementaire lui permettant de donner à la Tunisie la possibilité de s'en sortir. Les acquis politiques que notre pays a enregistrés ne peuvent être consolidés que par des avancées tangibles sur le plan économique et social et par l'instauration d'un climat de sécurité et d'un environnement d'affaires plus favorable. Or, pour qu'il y ait des avancées tangibles, il faudrait que tous les acteurs (gouvernement, syndicats, partis politiques, société civile et la population dans son ensemble) s'inscrivent dans une démarche de reconstruction du pays. Les problèmes qui se posent aujourd'hui ne sont pas du seul ressort d'un gouvernement, si compétent soit-il. Ces problèmes concernent toutes les forces vives de la nation qui doivent être disposées à consentir des sacrifices à l'image des sacrifices consentis par le peuple polonais dans les années qui ont suivi la révolution quand les syndicats ont accordé au gouvernement fraichement élu cinq années de trêve sociale, comme ceux consentis par les sud-coréens quand ils ont renoncé à une partie de leurs salaires pour donner au pays une chance de redresser son économie. Aujourd'hui aussi bien l'un comme l'autre des deux pays ont le plein emploi et jouissent d'une relative prospérité. Le véritable développement humain d'une nation, son degré de patriotisme se vérifient à l'occasion de ce genre d'épreuve. La Tunisie va au devant de plusieurs défis qu'elle doit relever simultanément faute de quoi, le pays sera exposé à toutes les éventualités et très certainement aux plus dangereuses d'entre-elles. L'extrémisme qui nous guette se nourrit essentiellement de la misère et du désœuvrement de notre jeunesse. Pour protéger notre pays on doit nécessairement nous attaquer aux racines du problème, qui sont principalement d'ordre économique et social. Il est donc impératif de réformer le pays pour davantage de développement économique et de justice sociale. Réformer implique donc un effort collectif et cet effort passe par un appui significatif mais vigilent au prochain gouvernement, il passe par la participation constructive de toute la classe politique et des syndicats. L'appui politique implique la formation d'un gouvernement élargi à l'ensemble des partis politiques représentés au sein du nouveau parlement élu. Cela passe nécessairement par l'implication des grandes comme des petites formations politiques dans un effort national pour sauver le pays. Le salut de la Tunisie et la réussite de notre transition politique qui ne fait que commencer, passent par une approche politique inclusive qui met toutes les formations politiques et syndicales devant leurs responsabilités historiques et les contraint à rompre avec l'idée de se nourrir des fautes des autres. Nous devons mettre nos clivages idéologiques et politiques entre parenthèse, le temps de concentrer toute notre énergie et toutes nos forces sur le seul combat qui vaille, le combat pour une Tunisie prospère et démocratique. Une fois la démocratie consolidée, la crise économique jugulée, on pourrait revenir -si besoin est- vers des archétypes politiques plus classiques. En attendant, nous avons un pays à sauver de toutes les menaces qui pèsent sur lui. A bon entendeur salut ! *Hédi Ben Abbes est un ancien dirigeant du CPR, ancien conseiller auprès du président de la République. Il se présente, désormais comme un citoyen tunisien