Le rapprochement constaté entre Nidaa et Ennahdha lors de la séance d'ouverture de l'Assemblée des représentants du peuple a surpris une large frange de Tunisiens qui ont cru que les deux plus grandes composantes du nouveau parlement ont vite décidé de s'allier et de partager le pouvoir comme on partage un butin de guerre. Pour avoir été trop longtemps trahis par le passé par leurs gouvernants, les Tunisiens médusés devant leurs écrans de télévisions, qui voyaient les islamistes et les nidaistes se mettre d'accord sur le report de la séance puis sur le vote du président et ses deux vice-présidents, ont cru qu'ils allaient encore une fois être les dindons de la farce. Pas encore vraisemblablement. Tout indique, en effet, que, jusque-là du moins, ce rapprochement surprenant n'atteint pas le degré d'alliance politique entre les deux grands partis politiques du pays. On attendra donc confirmation à travers la composition gouvernementale pour pouvoir parler d'alliance. En attendant on parlera de rapprochement et d'un croisement des intérêts d'Ennahdha et du Nidaa qui profite à quelques formations politiques au détriment d'autres. L'intérêt immédiat du Nidaa est bien entendu de réunir les conditions favorables à une élection haut la main au second tour de la présidentielle, de son candidat et leader Béji Caid Essebsi. Ceci ne peut se faire qu'au détriment de son concurrent, le président provisoire sortant Moncef Marzouki, qui a profité largement, lors du premier tour, du soutien actif et en masse des militants islamistes. Le rapprochement avec Ennahdha permettrait donc de calmer les ardeurs des islamistes en faveur de Marzouki. Il ne s'agit pas d'un rapprochement qui vise à puiser dans le réservoir électoral d'Ennahdha. Beaucoup d'islamistes, consignes ou pas, préféreraient se mutiler que voter pour Béji Caid Essebsi, diabolisé trop longtemps par leurs propres dirigeants. Par contre, ces mêmes islamistes pourraient lever le pied le jour des élections et trouver mieux à faire que se déplacer aux bureaux de vote. Cette manœuvre a l'avantage pour le Nidaa de priver Marzouki de centaines de milliers de voix ce qui garantirait l'élection de son candidat avec un score plus confortable que celui enregistré lors du premier tour. De son côté, par ce rapprochement, Ennahdha marque des points sur au moins trois niveaux. En s'assurant du poste de premier vice président de l'Assemblée, le parti islamiste assure une présence, plus symbolique et psychologique que réelle, au centre du nouveau système politique tunisien. Cela a une valeur de consolation après son échec à peine voilé aux législatives. Sur un autre plan, distiller les voix islamistes qui iront au second tour au candidat Marzouki permet à Ennahdha de remettre le président provisoire sortant à sa place, lui qui s'est permis de s'adresser directement au peuple d'Ennahdha sans passer par ses dirigeants. Un mauvais score de Marzouki garde le leadership de l'opposition entre les mains du parti islamiste alors qu'un bon score de Marzouki ferait de lui, de facto, le leader de l'opposition pour les cinq prochaines années et relèguerait le parti islamiste, qui lui aurait assuré ce score, à une place subalterne derrière lui. Enfin, ce rapprochement qui se traduirait par un score gonflé en faveur d'Essebsi, profiterait à Ennahdha pour continuer de développer si nécessaire un discours de diabolisation du Nidaa et faire le parallèle entre les résultats du Nidaa et les résultats des élections sous l'ancien régime. L'impact collatéral de ce rapprochement est la marginalisation du Front populaire qui a très mal géré sa première apparition à l'Assemblée. Il risque de se condamner à un rôle d'opposition de plus en plus radicale sans réel impact sur l'évolution de la vie et du paysage politique en dehors et sous l'hémicycle. Par contre, le parti de Slim Riahi, qui aurait pu avoir le même sort que le mouvement Al Aridha en 2011, a su manœuvrer adroitement pour sortir le plus grand vainqueur de ce cette première valse politique. Il peut se targuer aujourd'hui de son poste de deuxième vice président de l'Assemblée, poste occupé de surcroit par une illustre inconnue. Cela s'appelle le pragmatisme érigé en religion au sein de l'UPL et qui fait cruellement défaut au Front populaire.