Le philosophe et ancien ambassadeur tunisien Mezri Haddad, a publié une lettre ouverte adressée au président de la République Béji Caïd Essebsi, au lendemain du décès d'Ahmed Jribi, fils unique de Saïda Agrebi. Nous la publions dans son intégralité. Monsieur le Président, Cette lettre, je ne la voulais pas ouverte mais fermée et privée. L'urgence de la situation et la lenteur habituelle de la bureaucratie présidentielle exigent que je vous l'adresse par voie de presse. Il s'agit de votre « amie » de cinquante ans, Saïda Agrebi, qu'un destin cruel vient encore de frapper dans la mort de son fils unique, Ahmed Jribi. Comme vous le savez sans doute déjà, il est décédé hier (jeudi 9 avril) à Casablanca à la suite d'une opération du cœur. Il était malheureusement privé d'un passeport valide pour se faire opérer en France. Notre consulat au Maroc lui a refusé ce droit constitutionnel élémentaire. Soumise à une mesure arbitraire d'extradition, Saïda Agrebi n'a pas pu se rendre au Maroc pour consoler son fils qu'elle n'a plus revu depuis quatre ans.
Cette patriote, vous la connaissez bien mieux que je ne l'ai connue. Malgré la campagne de diabolisation, de haine, de mensonge et de lynchage dont elle a été victime depuis 2011, vous savez très bien que Saïda Agrebi a consacré toute sa vie à sa Patrie et plus exactement à l'émancipation de la femme tunisienne et à la cause féministe dans le monde arabe en général. Avec son volontarisme et son caractère propre qui indisposait la gente masculine, elle s'est dévouée à cette cause aussi bien sous le régime de Bourguiba que celui de Ben Ali. Puisque c'est sous votre gouvernement intérimaire et sous la pression de la horde « facebookarde » qu'un mandat d'amener a été transmis à Interpol à son encontre, alors qu'elle avait quitté la Tunisie dans des conditions tout à fait légales, vous avez aujourd'hui le pouvoir, en tant que chef de l'Etat, d'annuler ce mandat pour qu'elle puise au moins accompagner son fils unique jusqu'à sa dernière demeure. Vous en avez toute la latitude légale, morale et politique d'autant plus que Saïda Agrebi n'a été condamnée dans aucune des affaires qu'on lui a arbitrairement collées par basse vengeance et pour des considérations politiciennes, et que vous avez eu le courage intellectuel et l'audace politique d'initier un processus de réconciliation nationale.
Depuis 2011, Saïda Agrebi n'aspirait qu'à une seule chose : finir ses vieux jours dans cette Tunisie qu'elle a aimée et à laquelle elle s'est tant dévouée. Aujourd'hui, elle n'aspire plus qu'à pouvoir assister aux funérailles de son fils unique Ahmed, qui laisse deux orphelines de 5 et 1 ans, que Dieu l'entoure de sa clémence et de sa Miséricorde. C'est en mon nom propre et aux noms de tous les patriotes qui ont loyalement servi leur pays que je vous demande de donner des instructions aux ministres chargés des douanes et de la police d'autoriser Saïda Agrebi de rentrer chez elle pour accompagner son fils jusqu'à sa dernière demeure, là où nous irons tous. Quant à la Justice dans les affaires desquelles vous n'auriez pas à intervenir, elle est très bien placée pour savoir que Saïda Agrebi, comme beaucoup d'autres innocents, a été victime d'un règlement de comptes politiciens et d'une campagne de lynchage sans précédent. Recevez, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments déférents.