La loi antiterroriste a été votée hier soir par les députés réunis en plénière. Il aura fallu trois jours pour venir à bout des discussions autour des différents amendements à apporter à ses articles, en plénière et à huis clos. Et pourtant, ce n'est pas cette loi qui suscite tout l'intérêt aujourd'hui dans les médias et sur la toile. Plutôt le fait que 10 des députés présents à la plénière se sont abstenus de voter. Ces députés sont majoritairement du CPR et du Courant démocratique (bébé du CPR). Leurs détracteurs crient donc tout de suite au complot ! 184 députés étaient à l'hémicycle au moment des votes, 174 ont voté oui et personne n'a voté non. 10 par contre se sont abstenus et ces 10 députés s'accaparent toute l'attention aujourd'hui. On ne s'intéresse pas aux 23 députés absents lors du vote de cette loi d'une importance capitale, on s'en fout éperdument de ceux qui ont triché lors des votes et on semble prêter très peu d'intérêt à l'objet de la loi elle-même. Paradoxalement, seuls les abstentionnistes sont pointés du doigt...uniquement car ils n'ont pas eu le courage de voter contre. Ce courage personne ne l'a eu, même ceux qui ont fortement critiqué le contenu de cette loi. L'unanimisme avec lequel elle a été votée est consternant. Le fait que des députés dits de gauche et droits de l'hommistes aient voté en faveur d'une loi qui remet au goût du jour la peine de mort est plus qu'absurde.
Alors que la Tunisie observe depuis 1991 un moratoire sur la peine de mort, transformée en prison à perpétuité pour ceux qui y sont condamnés, cette nouvelle loi pourrait bien lui donner un coup de frais. Si la peine de mort a prouvé ses limites dans de nombreux pays s'avérant peu dissuasive, comment pourrait-elle s'avérer efficace dans le cas de jihadistes qui, en perpétuant leurs actes, cherchent eux-mêmes à se donner la mort ? Mais le texte de cette loi demeure aussi dangereux à bien des égards. Les pouvoirs accordés à la police sont exagérés. Le recours aux écoutes téléphoniques y est simplifié et on permet de garder un suspect à vue pendant une quinzaine de jours en le privant de son droit élémentaire de se faire représenter par un avocat. Mais pire encore, c'est la définition même de l'acte terroriste, mentionnée dans l'article 13, qui dérange, englobant un large champ d'actes pouvant s'éloigner de l'action terroriste à proprement parler.
La loi antiterroriste a été votée dans un contexte de tensions et alors que le pays se trouve aujourd'hui « en pleine guerre », comme s'amusent à le répéter nos politiques, à tout bout de champ. Sans doute pour rassurer touristes et investisseurs étrangers et les encourager à venir nous voir. La situation étant plus qu'alarmante, il fallait agir vite. L'examen de la loi antiterroriste avait débuté depuis l'été 2014 avec les élus de l'ANC (Assemblée nationale constituante) qui n'ont pas réussi à en venir à bout et qui ont donc renvoyé la patate chaude à ceux de l'ARP. Nos élus d'aujourd'hui ont dû eux-mêmes être secoués par deux attentats terroristes ayant touché des civils et plusieurs autres ayant ciblé les sécuritaires pour donner un coup de pied dans la fourmilière. Quatre mois de débats en commission ont été votés en 3 jours et le résultat semble aujourd'hui être qualifié de « grand accomplissement historique […] à la hauteur des attentes ».
Pour faire bref on ne polémiquera pas aujourd'hui sur le contenu de cette loi...ceci ne semble pas émoustiller les foules. Aussi critiquable soit-elle, cette loi ne servira à rien seule. Les meilleures lois du monde, si toutefois elles le sont, ne pourront rien si elles ne sont pas appliquées dans le cadre d'une stratégie globale. Dans un pays dans lequel la contrebande est l'activité principale de villes entières. Dans un pays où les armes passent, comme dans du beurre, les barrages de police moyennant quelques dinars. Dans un pays où les bavures sécuritaires sont tellement nombreuses qu'on ne saurait les compter. Dans un pays dans lequel les mosquées et les meetings politiques de certains partis sont les nids de discours violents, takfiristes et incitant, parfois-même, au meurtre. Dans un pays dans lequel certains de ces mêmes politiques qui ont voté cette loi prêchent la violence et la division, le chemin reste encore long et les mécanismes de la lutte contre le terrorisme sont loin d'être mis en place aujourd'hui...