Nous nous apprêtons à célébrer, comme chaque année, la fête de la Femme, le fameux 13 août. Historiquement cette date correspond à la promulgation du Code du statut personnel (CSP). C'était en 1956. C'était avant-gardiste, progressiste, magnifique, superbe et autres adjectifs du genre. Seulement aujourd'hui, le CSP est devenu un monument qu'on visite une fois l'an comme pour l'anniversaire de Bourguiba. Ce code reste une fierté, c'est évident, mais disons les choses comme elles sont : rien ou presque n'a été fait depuis. Rien n'a été fait si on exclut la récupération politique. Aussi bien du temps de Ben Ali que de celui de la post-révolution, la femme a été présentée comme un trophée, comme un joli meuble qu'on met dans une maison. L'ensemble des partis politiques n'hésite pas à dire « regardez, il y a des femmes parmi nous ». On a même pondu une loi pour « forcer » la représentativité féminine au sein de l'Assemblée parce que sinon, on sait bien qu'elle n'y serait pas représentée. On pousse l'indécence jusqu'à se montrer fier du nombre de femmes à l'assemblée alors qu'il s'agit simplement d'une disposition légale ! En réalité, on ne veut pas promouvoir la femme en tant qu'individu à part entière. Si on fait abstraction des envolées lyriques sur la femme tunisienne, sa liberté, ses droits et son courage, que reste-t-il ? Rien de reluisant. La femme en Tunisie n'hérite pas comme son frère, elle a toujours besoin d'une autorisation de son mari pour emmener ses enfants en voyage, elle peut être violée par son mari parce que le viol conjugal n'existe pas dans la loi tunisienne. Par ailleurs, la femme en Tunisie n'est pas payée comme le serait un homme pour le même travail, elle se heurte à un plafond de verre quand il s'agit de postes à responsabilité, elle est harcelée dans la rue, elle ne peut pas s'habiller librement…
La vérité est ailleurs. La vérité est que le citoyen lambda tunisien pense qu'on en a déjà trop donné aux femmes. Chacun donne libre cours au « Daechien » qui est en lui et on laisse s'exprimer toute la haine qu'on a pour la femme. Si on arrête de se voiler la face, on comprendra que, par exemple, l'idée selon laquelle les femmes prennent le travail des hommes et devraient rester à la maison s'occuper des gosses est loin d'être minoritaire. En fait, on comprendra qu'aucune avancée ne sera faite concernant les droits de la femme tant que le souhait réel est de rogner ceux qui existent déjà. Tant qu'on se mentira en pensant que la femme tunisienne vit dans le meilleur des mondes possibles et qu'elle a déjà beaucoup de chance de pouvoir sortir seule dans la rue, aucune avancée ne sera faite. Il faut dire que nos politiciens sont assez frileux et qu'il ne faut pas compter sur eux pour « forcer » la société à accepter une réforme nécessaire. Après tout, « ce ne sont que des femmes ». La vérité est douloureuse quand on sait qu'une frange des « hommes » tunisiens a une certaine sympathie pour les idées de Daech, ceux-là mêmes qui vendent les femmes yazidies dans des marchés au bétail. Sur un plan plus « local », il y a encore des mères qui essayent de dissuader leurs filles de porter plainte contre un mari violent. Le fait même de battre sa femme n'est pas source d'indignation outre mesure. Nul doute que les problèmes de la femme se posent dans tous les pays, surtout concernant l'égalité avec l'homme. Mais il fût un temps où la Tunisie balisait le chemin avec le CSP notamment. Aujourd'hui, ce CSP est devenu une relique qu'on brandit à chaque fois qu'une femme revendique ses droits. On brandit le CSP comme pour lui signifier qu'elle a assez de droits comme ça et que si elle ne se tait ils lui seront retirés. Par conséquent, la condition de la femme en Tunisie ne s'améliorera pas de sitôt. Il y a deux options : regarder les choses en face et entamer un combat de conscience et de mentalité ou se voiler la face et continuer de penser que la femme tunisienne est gâtée et quelle a de la chance d'avoir le fameux CSP, une loi vieille de 59 ans dont on est encore fiers !