Elles font partie de ces femmes actives de la société tunisienne. Elles sont le cœur battant de la Tunisie. Elles ont la trentaine, célibataires et assument leur vie de jeunes femmes indépendantes et autonomes. En cette Tunisie postrévolutionnaire où le pouvoir est à tendance islamiste, où la phase transitoire se fait dure et lente, le paysage socioéconomique est totalement chamboulé. La place de la femme tunisienne, un acquis qui date de l'indépendance, commence à poser problème. Les appréhensions s'installent malgré une volonté d'enfer de sauver ses acquis. Mais la Tunisienne ne semble pas avoir dit son dernier mot. «Parce que je suis une révolution, je ne suis pas un tabou» Hier, en fêtant la Journée mondiale de la femme, plusieurs villes arabes Tunis, Benghazi, Aman, Tanja, Ram Allah, Sana'a, Beyrouth et Caire se sont réveillées avec de grandes pancartes où il s'agissait de portraits géants de femmes arabes avec des messages interpellant les passants sur la condition féminine. Il s'agit, en réalité, d'une campagne lancée appelant au respect du corps et du statut de la femme arabe. Les affiches gigantesques appellent à la Révolte de la femme dans le monde arabe. Elles s'imposent aux regards et interpellent les frustrations rétrogrades de tout un chacun afin de dire non à la violence sexuelle, et aux tests de virginités. Parmi les objectifs de cette campagne, c'est le droit des femmes de donner leur nationalité à leurs conjoints et progénitures et de s'affirmer dans la construction de l'avenir de leur patrie avec l'homme rappelant qu'elles ont bien été là durant les révolutions et ont contribué aux soulèvements populaires. à la révolte des femmes dans le monde arabe. Paroles de Tunisiennes Le Temps a collecté quelques témoignages de jeunes femmes tunisiennes, la trentaine épanouie, actives et acharnées afin de connaître leurs ambitions et appréhensions quant au statut de la femme au cœur et au lendemain de la transition démocratique chancelante que connait la Tunisie. Emna.T, 31 ans, grand cadre dans une société pétrolière «Oui j'ai peur mais je ne baisserai pas les bras ! Mon succès chèrement obtenu, ne sera jamais l'offrande à l'obscurantisme !» «J ai 31 ans et je suis célibataire. J'ai une bonne situation financière hamdoullah. Je suis fière de moi. Je ne dois mon succès actuel qu'à moi-même. J'ai pu réaliser mes vœux grâce à mon acharnement. Je suis devenue tout ce que j'ai toujours souhaité devenir: une femme émancipée et qui n'a pas besoin d'un homme pour exister. Pourtant, aujourd'hui, ce n'est pas que j'ai peur mais je suis obligée de doubler de vigilance même si je ne fais rien de mal. Auparavant, je me permettais de rentrer à 3h du matin sans avoir peur ; maintenant, j'ai une casquette dans ma voiture pour le soir. Je préfère me cacher les cheveux avec par peur qu'on voie que je suis une femme au volant et seule. Je ferme systématiquement mes portes, dès que je vois un barbu et j'essaye de ne pas croiser son regard. Au fond je déprime car je ne me reconnais plus dans ce comportement J'ai aussi peur que les gens sachent que j'habite seule. Par ailleurs, là où j'habite, à Gammarth, sur la façade d'une école primaire, certains ont affiché une pancarte dont le texte stipule que le port du voile est obligatoire ! Un vrai cauchemar oui !!!! Et j'en passe ! Mon épicier, mon marchand de légumes, mon boucher ont tous laissé pousser leurs barbes ! si de par le passé, j'allais faire mes courses chez eux, aujourd'hui, on me regarde de travers, comme si c'était un crime ! Donc oui j ai peur. J' ai peur pour mon avenir autant que femme car personne à part moi ne se bat pour me garantir toutes mes libertés. J'aurais pu partir vivre chez ma mère à l'étranger mais je ne me laisserai pas faire. C'est grâce à mes propres efforts que je suis là où je suis et je me battrai dans mon pays. Je me battrai jusqu'au bout pour toutes celles qui n'nt pas le choix. Alors, je dirais malgré tout : Bonne fête à toutes les femmes libres. Les autres, celles qui se complaisent dans leur malheur, assumez votre statut d'esclave.» Mélika Belgaïed, 29 ans, jeune cadre dans une société franco-tunisienne «Je continuerai à vivre et clamer mon succès professionnel et mes droits.» «La situation de la femme dépend de sa situation sociale et de son entourage. Depuis le fameux 14 janvier, il y a un souci latent de sécurité. Cette insécurité a bien évidemment, ses retombées sur le comportement et le mode de die de la femme tunisienne. La situation instable a permis à certaines personnes à tendance rétrograde d'agir en sorte de réprimer les libertés de la femme. Souvent, même la tenue vestimentaire est regardée de travers. On ne peut plus se vêtir, ni agir spontanément de peur d'être agressée ou insultée. Cette ambiance lugubre engendre un certain sentiment de panique chez plusieurs femmes. Beaucoup d'entre-elles, préfèrent ne plus sortir seules et évitent carrément le centre-ville de Tunis, par exemple. La peur pour l'avenir du statut de la femme s'est installée depuis de longs mois maintenant. On a même peur pour l'avenir de nos filles et pour la postérité ! Néanmoins, personnellement, je tiens à mon statut de femme libre, active, indépendante et émancipée. Je poursuivrai mon chemin vers la réussite professionnelle et personnelle. Malgré cette aura d'insécurité générale, je n'ai pas changé de rythme de vie et je ne compte pas le faire. Je continuerai à vivre ma vie comme ça me chante et ne permettrai à personne de violer mon statut de femme tunisienne libre et forte. Je dois bien ça à mes parents et à moi-même.» K.Radhouene, cadre en marketing «Même les femmes qui se disent émancipées et militantes, ne font pas vraiment grand-chose pour s'élever contre les violations des droits de la femme !» «On ne peut plus parler d'ambitions mais plutôt d'appréhension ! Je suis plutôt triste que ce pays recule à pas de géant! Je vais me contenter de la citation de Béchir Ben Yahmed qui a dit :" la Tunisie va rater son 21ème siècle !» Quel gâchis tant d'efforts fournis par le passé sont détruit en si peu de temps ! Et ce n'est que le début! Il suffit de voir le paysage actuel et le comparer avec le paysage des années 70/80. On ne voit que des femmes de plus en plus voilées, obèses. Ces dernières se cachent d'ailleurs pour cacher inconsciemment leur mal, leur soumission divine tant décriés par les charlatans des chaines islamiques. Le statut de la femme actuelle est un sujet qui me révolte de plus en plus. L'engagement citoyen des Tunisiens et des femmes “laïques" est insuffisant ! Elles parlent trop mais n'agissent pas dans le bon sens. Au contraire leur attitudes favorisent la soumission de ces femmes soumises et ne les aident en rien dans leur affranchissement des dictateurs islamistes qui veulent réduire la femme au statut d'esclave et de subalterne. D'ailleurs, la désignation de Salem Labyadh ne va pas arranger les choses!» Dalila Oueslati, professeure et doctorante en langue anglaise «On demeure là et on ne laissera passer aucune loi qui relèguerait la femme au statut de subalterne» «Honnêtement mes ambitions sont que ce gouvernement qui nous nargue avec la religion démissionne ! Quant à mes appréhensions, elles sont plutôt légitimes car les acquis de la femme durement obtenus sont menacés par un discours conservateur et rétrograde qui caresse dans le sens du poil. Certaines gens sont nostalgiques d'un passé dont ils ignorent la vérité, voient dans l'ascension d'Ennahdha l'opportunité de prendre une revanche contre la femme qui les a distancés de plusieurs décennies voire siècles. Certes, je crains pour l'avenir de ma fille : l'obliger à porter le voile ou la priver du succès professionnel parce qu'elle est une femme, peur qu'il y ait des lois qui pourraient la reléguer à une position d'infériorité par rapport à l'homme, il suffit de se rappeler leur tentative d'employer le mot “complémentaire". Mais, personnellement je sais que j'ai bien éduqué ma fille et lui ai donné l'armature qu'il faut pour se battre contre toute force rétrospective. Elle est libre d'agir et de porter ce qu'elle veut. Je lis beaucoup de livres sur notre religion, de sages, de docteurs et d'experts en théologie afin que l'on ne sou trompe pas. Je n'ai pas changé de rythme de vie. Je m'habille et je me maquille comme d'habitude bien que des fois je sens des regards désapprobateurs (hommes barbus et femmes voilées) mais je m'en fous.»