Le raid américain sur un immeuble de la ville libyenne de Sobrata vendredi dernier annonce le début d'une guerre internationale en Libye contre le terrorisme de l'organisation Daesh. L'immeuble abritait une soixantaine de terroristes majoritairement tunisiens. Le raid annoncé comme une action ponctuelle et préventive a fait une cinquantaine de morts parmi les terroristes. Compte tenu des circonstances et des conséquences de ce raid, il est évident que la Tunisie est désormais au centre de cette guerre qui débute sans que personne ne puisse prévoir sa fin. Il y a quelques semaines, le chef du gouvernement tunisien avait annoncé que les terroristes se trouvaient à soixante dix kilomètres de nos frontières. Certains n'avaient pas pris cette annonce au sérieux et ont même critiqué Habib Essid l'accusant de créer un climat de peur exagérée dans le pays. Pourtant, c'est exactement la distance qui nous sépare du lieu du raid américain du vendredi dernier. Il s'avère donc que l'Etat tunisien dispose d'informations fiables, qu'il suit de prés l'évolution de la situation en Libye et qu'il n'est plus admissible de nous dire dorénavant que nos services ont été pris au dépourvu pour expliquer d'éventuelles lacunes futures dans la gestion de la question libyenne.
Maintenant des questions se posent et nécessitent une réponse collective concertée : notre pays doit-il participer à la guerre contre le terrorisme en Libye ? Quel devrait être le degré de son implication dans cet effort de guerre ? Et quel devrait être la position des différents actants politiques et sociaux tunisiens ?
Rappelons que notre pays avait déclaré, depuis les attentats du Bardo, la guerre contre le terrorisme. Il a intégré la coalition internationale contre le terrorisme conduite par les Etats-Unis et même la coalition islamiste conduite par l'Arabie Saoudite. De plus, la concentration des membres de Daesh d'origine tunisienne est très importante en Libye. Tout cela implique objectivement un engagement direct de notre pays dans l'effort de guerre internationale contre Daesh et contre le terrorisme. Il est vrai que le terrorisme est un phénomène international et planétaire, il n'en reste pas moins que c'est un fléau qui nous vise directement avec des exécutants qui sont, dans la plupart, de chez nous. Il serait dans notre intérêt donc, voire de notre devoir éthique, de participer activement à l'effort international de l'éradication du terrorisme.
Il est vrai aussi que les expériences précédentes, en Irak et en Syrie notamment, montrent que l'occident en général, et particulièrement les Etats-Unis, ne se soucie que de ses propres intérêts au détriment de la vie et des intérêts des populations des pays où il s'engage. Certains diront même, non sans raison, que le terrorisme islamiste a été créé et encouragé par l'occident lui-même pour justifier son interventionnisme et sa politique impérialiste et néocoloniale. Seulement, tant que nos pays n'ont pas les moyens d'éradiquer le fléau du terrorisme sans aucune aide extérieure, il serait puéril de refuser l'aide occidentale, même intéressée, au risque de mettre en péril quasi certain la société toute entière.
La question donc, n'est pas de savoir si on doit participer à la guerre contre Daesh, mais de définir les objectifs et le degré de notre engagement de façon à favoriser nos propres intérêts nationaux. Il est évident à ce propos qu'il est impossible de penser à un engagement militaire direct. Notre armée n'est pas dotée en hommes et en matériel pour assurer un tel rôle. Par contre, une collaboration logistique et technique avec les forces de la coalition est fortement envisageable, souhaitable même. Ceux qui s'opposent à une telle coopération, considérant qu'elle ouvre la porte à l'établissement de bases militaires étrangères sur notre territoire oublient que la notion de souveraineté nationale est devenue plus complexe de nos jours. Par contre, nous avons le devoir de vigilance pour que cette coopération avec les forces de la coalition ne lèse pas aux intérêts de nos voisins algériens qu'il nous est défendu, pour des considérations diverses, de planter un couteau dans le dos.
Enfin, il serait souhaitable pour les différents actants politiques et sociaux, dès lors que la décision d'entrer en guerre est annoncée par le gouvernement, de prendre acte de cette décision, de montrer une solidarité et une cohésion nationale sans faille et de renvoyer les différences existantes et réelles à la fin de guerre. Chacun est redevable de participer à l'effort de guerre. L'exemple doit parvenir des leaders et des dirigeants. De son côté, le gouvernement, même dans une situation de guerre, ne doit pas chercher à profiter de cette situation exceptionnelle pour porter atteinte au droit à la différence et à la liberté d'expression.