La polémique de la censure de l'interview de l'ancien président Moncef Marzouki ne désenfle pas et elle ne doit pas désenfler vu la gravité des faits. Pour le moment, tout le monde patauge aussi bien les premiers concernés que les observateurs, puisqu'on ignore la réalité des faits. Pour le savoir, et dans n'importe quelle démocratie qui se respecte, il n'y a que la justice qui puisse trancher. Et vu l'intensité de la polémique et sa gravité, l'idéal serait qu'elle soit saisie en référé pour qu'elle puisse dévoiler la vérité rapidement. L'affaire Attessia a commencé le samedi 3 septembre 2016 avec l'enregistrement d'une interview télévisée de Moncef Marzouki. L'intervieweur est Mekki Hlel, celui-là même qui a réalisé 30 fausses interviews au cours du dernier mois de ramadan pour l'émission de divertissement « Allo Jeddah ». Premier couac, l'ancien président n'est pas tenu informé de la date de diffusion. Son équipe a dû se suffire de l'annoncer, à coups de publications sponsorisées sur Facebook, en indiquant « Bientôt l'interview de Moncef Marzouki sur Attessia ». Finalement, on annonce la date du 14 septembre et toujours à travers une publication sponsorisée sur FB. La chaîne télévisée, quant à elle, n'a rien annoncé. Le jour J, après l'heure prévue de diffusion, le parti Irada et Moncef Marzouki annoncent que l'interview est censurée et que la chaîne a subi des pressions de la part de la présidence de la République et des ministres du gouvernement. On annonce, dans la foulée, une conférence de presse le lendemain pour dénoncer cette ingérence du pouvoir, le retour de la censure et la menace sur la démocratie. La toile et le paysage politico-médiatique s'emballent aussitôt.
A la conférence de presse, les accusations se précisent et s'orientent vers Noureddine Ben Ticha et Moez Sinaoui (présidence de la République), Mofdi Mseddi (présidence du gouvernement) et Iyed Dahmani (ministre et porte-parole officiel du gouvernement). La chaîne enfonce le clou et confirme avoir reçu des pressions pour ne pas diffuser l'interview. Le Syndicat national des journalistes monte au créneau et publie un communiqué lapidaire dans lequel il dénonce les pressions, les ingérences et la censure. Il ne fallait pas davantage pour que les conseillers de la présidence de la République et de la présidence du gouvernement sortent de leur silence et acceptent de répondre aux allégations qui les touchent. Au départ, ils estimaient que c'était tellement grotesque et bas qu'il ne fallait pas répondre. « On ne va quand même pas s'abaisser au niveau de Irada qui pense être suffisamment important pour que l'on s'intéresse à lui et ses interviews », nous confie l'un d'eux dans une discussion informelle. A mi-journée et tout au long de l'après-midi du jeudi 15 septembre, Noureddine Ben Ticha, Saïda Garrache, Iyed Dahmani et Mofdi Mseddi multiplient les déclarations pour démentir catégoriquement toute tentative de pression des autorités sur les médias. Ben Ticha, déjà en procès avec Marzouki, défie quiconque capable de présenter l'once d'une preuve quant à cette prétendue pression.
Le doute est insufflé et on ne sait plus qui croire. Attessia qui parle de pressions ou les deux présidences, sommet du pouvoir, qui démentent catégoriquement ? Ni l'un, ni les autres ne présentent de preuves formelles. La règle impose cependant à l'accusateur de présenter les preuves de ce qu'il avance. Du côté de Moncef Marzouki, on choisit la fuite en avant et on continue à accuser les deux présidences en dépit de leurs démentis formels. L'auteur du livre noir, dont l'équipe a très longtemps tenu des propos incendiaires contre Moez Ben Gharbia et ses émissions, prend désormais pour de l'argent comptant ce que dit la chaîne. Il est vrai qu'il y a beaucoup de points à gagner politiquement. A n'importe quel prix ? Pour Moncef Marzouki, et ce n'est pas nouveau, la fin a toujours justifié les moyens, quels que soient leur bassesse. A Attessia, on fait du rétropédalage d'un côté et de la fuite en avant de l'autre. 24 heures après avoir cédé aux pressions, d'après ce qu'ils ont dit eux-mêmes, on décide finalement de diffuser l'interview. Pourquoi alors avoir cédé à ces pressions dès le départ ? Du côté des observateurs du paysage médiatique, et nonobstant la réaction précipitée et légère du SNJT, le scepticisme est de mise. On s'interroge justement comment se peut-il que l'on ait soudain du courage pour dénoncer des pressions auxquelles on a cédé 24 heures plus tôt. On relève que s'il y a eu des pressions, c'est que cela suppose que les deux présidences ont vu l'émission et, par analogie, que l'interview a été dévoilée par la chaîne elle-même aux conseillers de Carthage et de la Kasbah. On rappelle que Moez Ben Gharbia n'est pas à sa première du genre et qu'il lui est arrivé de créer le buzz à partir de rien dans l'objectif de médiatiser ses émissions. Les informations relatives à ces polémiques sont parfois réelles et parfois montées de toutes pièces. On se rappelle encore la vraie fausse plainte de Ben Ali contre l'émission « Allo Jeddah », les polémiques autour de sa caméra cachée du crocodile, la censure puis la diffusion de son interview de Slim Chiboub en 2012, à la demande du chargé du contentieux de l'Etat, et il y a moins d'un an à peine, des menaces d'assassinat dont il a fait l'objet.
Qu'en est-il réellement ? Que Moez Ben Gharbia ait monté cette affaire de bout en bout pour créer le buzz parait difficile à croire. Il n'est pas cependant pas impossible qu'un membre de son équipe l'ait fait et ait menti à l'équipe de Moncef Marzouki en parlant de pressions inexistantes. Qu'il y ait eu réellement des pressions de la part des deux présidences est également difficile à croire, car cela ne servirait à rien de censurer Moncef Marzouki qui a toujours eu à ses pieds des chaînes turques et qataries pour lui offrir du temps d'antenne et des journalistes complaisants. Ce que l'on sait, c'est que l'interview prévue le 14 septembre n'a pas été diffusée à la date indiquée, que cette interview n'est pas suffisamment grave puisque la chaîne a décidé finalement de la diffuser et que les pressions (si elles ont jamais existé) ne sont pas suffisamment fortes puisque la chaîne les a dénoncées le lendemain.
Conclusion, quelqu'un est en train de mentir quelque part et c'est à la justice de dévoiler lequel. Si elles ont été diffamées et puisqu'elles doivent payer un coût politique assez conséquent, les deux présidences se doivent de déposer un recours en référé, suites aux accusations infâmantes dont elles ont fait l'objet. Et ces plaintes en diffamation doivent cibler la chaîne Attessia, au cas où elle aurait propagé cette fausse information de pressions, ainsi que Moncef Marzouki et son équipe, puisqu'ils auraient dans ce cas relayé de fausses informations sans les avoir vérifiées. Les deux présidences se doivent de préserver le prestige de l'Etat face à l'infamie d'autant plus qu'elle est suffisamment grotesque cette fois. Si Attessia a réellement subi des pressions, de quelque nature que ce soit, elle se doit de déposer une plainte et le décret-loi 115 prévoit clairement ce cas-là à travers ses articles 11,12 et 13. L'article 14 du même décret-loi considère cette pression exercée sur le journaliste comme étant un outrage à un fonctionnaire public et punit celui qui exerce cette pression selon les dispositions du code pénal. En tout état de cause, la justice devrait être saisie si l'on prétend sincèrement vouloir défendre la liberté d'expression et la démocratie en Tunisie.