Le rêve maghrébin est-il mort et enterré ? Ce doux rêve des générations qui ont lutté contre les forces coloniales est-il mort ? Ce rêve d'intégration maghrébine post indépendance, tant loué par les économistes, s'avère-t-il une chimère, une lubie, un songe d'une nuit d'été à Tunis, à Alger ou à Rabat ? On a pourtant tant de choses en commun...
D'abord cette désignation de l'ensemble géographique constitué par la Tunisie, l'Algérie et le Maroc par le terme "Maghreb" est-elle pertinente ? Ce terme fait référence en effet à un "Machrek", par opposition, une désignation dont l'ancrage se situe dans un orient prolifique littérairement mais qui a, au final, peu de liens culturels, à la base, avec notre "Maghreb". Le terme "Afrique du nord" aurait été bien plus neutre probablement car il s'agit d'une réalité voire une fatalité géographique immuable. Au-delà de ces considérations sémantiques ou lexicales, force est de constater que les trois pays du Maghreb central avaient plus de points en commun avant les indépendances que maintenant, berbères à l'origine, ayant subi des invasions qu'ils ont tous assimilées, ces mêmes invasions ont façonné leur destinée commune, phénicienne, juive, romaine, byzantine, arabe, subsaharienne, andalouse, ottomane (sauf pour le Maroc), française, espagnole, italienne... Après les indépendances, malgré l'entretien institutionnel d'un rêve d'union, à l'école, à travers certaines productions audiovisuelles communes (la fameuse série J'ha des années 70...), chaque pays a pris une trajectoire propre et s'en est fini du rêve d'un Maghreb uni. Celui-là n'existe de fait qu'à Paris tant les différences en Marocains, Algériens et Tunisiens en tant qu'immigrés, sont balayées par des conditions de vie communes et des amalgames communs.
Un conflit et un immense gâchis...
Le conflit du Sahara a achevé les plans d'une quelconque destinée commune, du moins sur le moyen terme. On trouve les séquelles de ce conflit jusqu'aux élites, cela a dépassé les masses algériennes ou marocaines, rendant le problème inextricable à court terme. L'un accuse l'autre de ne pas lui permettre d'accéder à l'océan Atlantique. L'autre l'accuse de vouloir l'enclaver et le couper de sa profondeur stratégique africaine par l'émergence d'une entité autonome voire indépendante sur son flanc sud. L'un l'accuse de velléités expansionnistes dues à une histoire impériales historiques. L'autre l'accuse de le priver des gisements d'énergie essentiels pour son développement... On ne s'en sort pas ! C'en est fini alors d'un rêve de complémentarité, c'en est fini d'un rêve de mise en commun du potentiel et des richesses de chacun des trois pays à l'instar de la CECA, acier et charbon, embryon de ce qui fonde aujourd'hui l'Europe unie. C'en est fini de ce rêve où le Maroc offrirait des produits agricoles et son phosphate à cet ensemble chimérique, et où l'Algérie offrirait son énergie, son gaz et son pétrole et où la Tunisie offrirait son savoir-faire éprouvé en matière d'industrie de transformation, notamment en agro-industrie. C'en est fini enfin d'un Maghreb central intégré et où les Tunisiens Algériens et Marocains se sentiraient tous chez eux dans les trois pays. La menace terroriste avec son lot de méfiances, de part et d'autre, a sifflé la fin de cette chimère qui berçait les pères fondateurs de ces trois pays à l'aube de leurs indépendances.
Colonisés, ils étaient unis. Indépendants ils sont devenus désunis Le paradoxe est que dans leur lutte contre le colonisateur, ils ont su mutualiser leur force contre un ennemi commun, mais qu'à leur décolonisation, les trois pays se sont "nombrilisés" pensant s'en sortir seuls. La Tunisie en choisissant la voie de la démocratie ouverte, le chemin le plus difficile, mais aussi celui qui rend, en théorie, le plus de dignité aux citoyens, va peiner. Elle avancera lentement et sûrement car elle a en son sein les trois piliers de sa résilience : l'éducation de masse, la promotion de la femme et une classe moyenne qui résiste grâce au planning familial et à certaines politiques publiques ciblées telles les subventions des produits de base et un système de couverture sociale qui pèse sur les finances publiques. Ces actifs constituent des acquis à protéger d'une manière prioritaire. La Tunisie aura une croissance molle due aux difficultés d'implémentation de politiques publiques, démocratie oblige, et des aléas sécuritaires. L'Algérie est un pays d'avenir mais qui risque de ne pas le rester si la sclérose politique continue à brider une jeunesse en mutation, connectée et très nombreuse. C'est le pays qui a le plus grand potentiel économique des pays du Maghreb grâce à sa manne en hydrocarbures, essentiellement, malgré la baisse conjoncturelle du prix du baril. En outre, l'Algérie dispose d'un gisement immense de gaz de schiste, posant du coup un immense problème écologique. L'Algérie n'a pas impulsé d'une manière suffisante ses PME, son agriculture et son potentiel touristique. L'aversion aux investissements étrangers de son administration, séquelle historique de la colonisation, est un frein à l'ouverture de son économie et sa diversification rendue nécessaire pour les prochaines années. Il s'agit d'un grand pays, une puissance régionale, un bastion contre certaines velléités d'ordre géostratégique, un pays à immuniser au mieux. Le Maroc, avec un pouvoir royal fort et un minimum démocratique, arrive à impulser son économie à travers une bonne image à l'étranger et l'engagement des grands travaux tels que le port de Tanger, le TGV, la centrale solaire, les investissements dans l'industrie du phosphate et l'ouverture sur l'Afrique par ses banques, sa compagnie aérienne et les télécommunications et ses investissements publiques et privés, malgré les risques d'instabilité que connaît l'Afrique subsaharienne. Le Maroc demeure dépendant des aléas météorologiques pour son agriculture qui représente encore près du tiers de son économie mais connaîtra à moyen terme une croissance forte et stable comparable à celle que la Tunisie a connue pendant la décennie 90 où elle a été le 1er pays émergent en matière de croissance, avec 5.5% de taux de croissance moyen sur 10 ans, grâce à un pouvoir dirigiste, avant de sombrer dans le népotisme et l'autocratie totale. Le risque pour le Maroc est la forte disparité sociale que connaît encore le pays avec des taux élevés d'analphabétisme, de pauvreté et un statut de la femme à améliorer. Une croissance forte c'est bien, un développement partagé s'avère plus durable et l'exemple tunisien à cet égard est édifiant.
Un destin commun exigé par une fatalité géographique ? Pour l'ensemble des pays du Maghreb central, il est impératif que la croissance, si elle est au rendez-vous, profite à tous et se transforme en un réel développement, équilibré et durable, une croissance inclusive et positive pour l'ensemble des citoyens. Un paramètre de taille qui conditionne l'avenir de la région mais ne contribue aucunement à l'intégration culturelle ni économique de cette entité géographique, il s'agit de la digitalisation des sociétés maghrébines et notamment des jeunes. Le contenu développé dans chaque pays est, en effet, plus empreint de proximité, il est d'une telle intimité qu'il ne concerne pas l'autre, l'habitant du pays voisin. Cette numérisation accrue des sociétés maghrébines va aussi changer en profondeur le type de management et même de leadership de ces pays dans les toutes petites années à venir, car la moyenne d'âge de ces trois pays est de près de 27 ans... Avec ces mutations, ces exigences de démocratie et de développement qui profitent à tous, le Maghreb est perçu par les grandes entités géographiques actives du globe, qu'elles soient américaines, européennes ou asiatiques voire africaines, comme faisant un tout, une entité à part entière. Cela est perceptible à travers les stratégies des multinationales en termes d'investissement ou d'échanges commerciaux, ces forces économiques qui considèrent le Maghreb comme une sorte de pays fédéral finiront par créer, de facto, cette intégration tant convoitée, car les économies des pays du Maghreb s'ouvrent à la mondialisation. L'arrimage aux marchés globalisés finira probablement par accélérer le processus d'union ne serait-ce que sur le plan économique, le politique viendra... ou pas, ce n'est pas si important que ça pour la prospérité de notre région et de sa jeunesse. Chiffre clés : Tunisie Population 2016 11.4 millions PIB 44.6 milliards de dollars PPA (parité pouvoir d'achat) 11 350 dollars par an par habitant Algérie Population 2016 40.7 millions PIB 163 milliards de dollars PPA 14 690 dollars par an par habitant Maroc Population 2016 34.8 millions PIB 102 milliards de dollars PPA 8 200 dollars par an par habitant