« Mécréante ! ...Attendons qu'elle sorte ! ». Ces mots débités par une parente d'élève devant l'école primaire, « Oqba Ibn Naafi », de la Cité El Bahri 3 à Sfax, ont fait vivement réagir les internautes tunisiens ce week-end. Il s'agit d'un épisode de violence à l'encontre d'une enseignante de Français, Fayza Souissi, accusée d'apostasie. Non, nous ne sommes pas dans l'Europe du Moyen-âge, à l'époque de la chasse aux sorcières, où les milieux populaires étaient utilisés par le pouvoir pour affaiblir les femmes jugées trop indépendantes, mais en Tunisie du 21e siècle. Retour sur l'affaire de Sfax.
« Dégage, sale gueule ! », « Femme de ménage ! Avec des enseignants comme ça, mieux vaut que nos enfants n'étudient pas ! ». C'est de la sorte que Fayza Souissi, enseignante de Français dans une école de Sfax, a été accueillie en sortant de son école, par les parents de ses propres élèves. Dans la vidéo, choquante, publiée massivement sur les réseaux sociaux, les Tunisiens ont assisté au bien triste spectacle d'une enseignante qui se fait agresser verbalement sous les yeux de ses élèves, par des parents déchainés. On l'accuse d'apostasie, d'athéisme et de tenter de corrompre la foi des enfants ! Les parents d'élève, agglutinés devant le portail de l'école, lui reprochent d'avoir fermé les fenêtres de sa classe lors de la prière du vendredi afin de réduire la « pollution sonore ». Rien de plus rien de moins pour que ces défenseurs de la piétée accusent l'institutrice d'athéisme ! « Faux » répond la concernée, tout en expliquant que l'horaire de sa leçon ne correspond pas à celui de la prière. Sur l'enregistrement on voit également l'enseignante sortir de l'école, escortée par la police au milieu d'une foule en délire qui débitait des obscénités à son encontre. La scène est surréaliste, violente.
Dans une interview accordée à la chaîne Nessma lundi 18 septembre, Mme Souissi, relate les faits : « Quand je suis entrée par la porte de l'école personne ne m'a parlé. Ils ne connaissaient pas mon visage, seulement mon nom. Je me suis dirigée vers le bureau du proviseur et une fois à l'intérieur, j'ai commencé à entendre des hommes, qui étaient devant la porte, protester contre ma présence au sein de l'établissement, car selon eux, le directeur régional m'avait fait muter ! Je n'ai pas connaissance de cette mutation et je ne l'ai jamais demandée ! ». Et d'ajouter : « Mes collègues m'ont alors emmenée dans un des bureaux pour me protéger car les hurlements se faisaient toujours plus forts ! ». Elle poursuit : « J'enseigne de 9 à 12h et vous n'êtes pas sans savoir que la prière du vendredi commence après midi. Il est vrai que je suis contre le Hijab, j'ai mal quand je vois des jeunes filles de primaire le porter ! Ceci dit, je n'ai jamais demandé qu'on l'enlève, jamais ! ». Toujours lors de l'émission « Sbeh Elkhir Tounes », le chroniqueur, Sofiene Ben Hamida, a révélé que le problème au sein de l'école « Oqba Ibn Naafi » dure depuis au moins une année. « Il y a des frictions entre un courant religieux extrémiste qui veut imposer sa vision et un courant progressiste, moderne, qui défend une école républicaine. Il me parait que cette opération est fabriquée depuis le début, préméditée ! » a-t-il dit. Il renchérit que selon les informations dont il dispose : « Fayza Souissi est une citoyenne très active dans la société civile et étant membre de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates, elle représente un élément résistant au projet extrémiste et donc une cible. La peur aujourd'hui est que les écoles républicaine soient transformées en écoles religieuses par la subversion », a conclu notre confrère.
Etant donné la gravité de l'affaire, le ministère de l'Education a lui aussi réagi ce lundi via un communiqué où il a condamné l'acte de violence, jugé « inadmissible » tout en ordonnant l'ouverture d'une enquête. Il a été en outre rappelé qu'il est la seule autorité apte à juger le rendu pédagogique des enseignants. Le communiqué ministériel a été suivi dans la journée par celui du syndicat général de l'enseignement secondaire. Dans le communiqué signé, Lassaâd Yacoubi, le syndicat exprime son total soutien à l'enseignante, rappelle ses longues années de carrière dans la formation des futures générations, demande l'application stricte de la loi contre les agresseurs et pointe enfin du doigt le délégué régional de l'enseignement de Sfax (1) en le qualifiant d'irresponsable. Ce dernier ayant été l'un des premières informés par les faits, vendredi, il avait évoqué la mutation de Mme Souissi, comme solution au problème.
Ce qui s'est passé la semaine passée n'est pas un fait isolé. Depuis les évènements de 2011, l'enseignement public tunisien, n'a cessé d'être attaqué. L'affaire du drapeau perché sur le toit de la faculté des lettres des arts et des humanités à la Manouba, a été le coup d'envoi d'une longue série d'incidents. Pire encore ses gens imbibés d'une interprétation superficielle et étriquée des textes religieux, ont développé dans le pays un véritable réseau parallèle d'écoles religieuses qui opèrent avec des normes qui ne correspondent pas à celles imposées par la République. Tout comme en France, à titre d'exemple, ces écoles sont financées par des associations religieuses liées aux pétromonarchies comme l'on prouvé des confrères français lors de leurs enquêtes. Il s'agit maintenant d'imposer leur modèle de société à tout un chacun et ils ciblent l'école républicaine. En février 2012, peu de temps après l'accession de la Troika au pouvoir, menée par les islamistes d'Ennahdha, le prédicateur égyptien controversé Wajdi Ghonim s'était rendu en Tunisie pour prêcher sa bonne parole. « Nous n'avons pas besoin d'eux, mais de leur enfants ! » lui avait confié publiquement Abdelfattah Mourou, actuel vice-président du parlement. Ce même Wajdi Ghonim qui a dans un discours publié sur Youtube en Août 2017, appelé au Jihad en Tunisie et a traité le président de la République, Béji Caïd Essebsi, de mécréant, pour avoir proposé l'égalité de l'héritage entre les hommes et les femmes. Quelque jours après, en septembre, M. Caïd Essebsi accordait une interview exclusive au journal « La Presse » et dans laquelle, il confiait parlant de son alliance avec le parti Islamiste : « Nous nous sommes dit : au moins, nous contribuerons à ramener Ennahdha au club des partis civils. Mais, il paraît que nous avons fait une fausse évaluation ».
Depuis la libération du pays en 1956, la classe dirigeante en Tunisie a beaucoup investi dans l'éducation des jeunes générations. « Nous n'avons d'autres ressources que le capital humain » disait Habib Bourguiba. Aujourd'hui, 70 ans après, l'école républicaine est en danger car elle constitue un rempart efficace contre l'ignorance et la pensé extrémiste. Une idéologie extrémiste qui fait fi de la diversité et des valeurs républicaines, en tentant, pernicieusement, d'imposer sa vision.