Elle s'appelle Faïza Souissi, elle est enseignante à Sfax et elle a été agressée dans l'enceinte de son établissement parce qu'elle serait athée. Polémique garantie comme cela a toujours été le cas. Non pas depuis six ans, mais depuis toujours. Depuis les « foutouhat » et l'arrivée de l'islam chez nous, donc depuis 14 siècles, il nous est interdit d'adopter une autre religion que l'islam. Dès lors que vous êtes né de parents supposés être musulmans, il vous est interdit d'affirmer haut et fort que vous n'êtes pas musulman, que vous rejetez la religion de vos aïeux, de vivre en pays d'islam sans être musulman. Vous avez beau dire que l'islam n'impose rien, que la liberté de conscience est garantie en islam, que la question religieuse est et doit rester personnelle entre l'individu et son créateur, rien à faire, on vous oppose des textes qui vous disent le contraire. Tout est une question d'interprétation et de contexte. Vous dites que l'islam ne s'impose pas à vous et que ça doit être une question de croyance et de foi ? On vous répond que ce texte est destiné à ceux qui sont nés mécréants et qu'en tant que fils de parents musulmans, vous devez adopter la religion de vos parents, sous peine de mort. Il existe en effet un hadith qui ordonne de tuer ceux qui délaissent l'islam. Vous dites que la religion est une affaire personnelle, on vous répond que l'islam n'est pas qu'une religion, mais tout un modèle de société qui, si on le suit à la lettre, on serait le peuple le plus émancipé au monde.
Des Faïza Souissi, il y en a toujours eu. En tant que Tunisienne, on peut dire qu'elle s'en tire bien celle-là, avec une simple agression. En d'autres temps ou sous d'autres cieux, elle aurait été lapidée à mort. Son cas est d'autant plus grave qu'elle est enseignante et qu'elle risque de partager son « ignorance » aux nouvelles générations. Un jour Abdelfattah Mourou, vice-président de l'ARP et du parti islamiste Ennahdha, avait déclaré « cette génération est foutue, il faut s'occuper de leurs enfants ! ». Faïza Souissi and co représentent donc une menace réelle aux avocats de Dieu, aux ambassadeurs auto-patentés de l'islam en Tunisie, aux gardiens du dogme. A ce titre, et selon une certaine lecture de l'islam, elle mérite d'être agressée, lapidée, tuée. Avant elle, il y a eu des milliers d'intellectuels et de leaders d'opinion qui ont été tués, juste parce qu'ils ont affirmé haut et fort qu'ils ont rejeté et abandonné l'islam de leurs parents. Jusqu'à quand va-t-on accepter la multiplicité des interprétations des textes religieux ? Cela dure depuis 14 siècles et la fin n'est pas pour bientôt. Comment faire alors pour que l'on puisse cohabiter sur cette même terre sans que l'on s'ingère dans la croyance des autres ? A rappeler que l'islam vous impose de vous ingérer dans les affaires personnelles de vos concitoyens dès lors que vous estimez (selon vos propres référents) qu'ils sont dans le tort. Habib Bourguiba a commencé le travail de séparation entre la chose religieuse et la chose publique, mais Zine El Abidine Ben Ali n'a pas su comment le poursuivre. En mettant les islamistes en prison, il n'a fait qu'étouffer, pour un temps, la poudrière. La révolution était l'occasion idoine pour ce faire, mais la victoire des islamistes en 2011 (qui ont joué la carte de la victime) a fait que les textes de la constitution tunisienne de 2014 à ce sujet soient contradictoires, injustes et inégalitaires. Exactement comme le texte religieux où l'on peut interpréter la chose et son contraire en fonction de celui qui interprète. Cette contradiction et ces injustices constitutionnelles sont impossibles à supporter sur le long terme. Il est inconcevable que la chose publique soit gérée par l'approximatif et que la constitution et les lois aient des interprétations multiples et contradictoires. D'un côté on considère que les citoyens sont égaux, mais de l'autre on considère que les femmes, les non-musulmans et certaines minorités ont moins de droits que leurs concitoyens. Ce point a été discuté et débattu en long et en large entre 2011 et 2014, mais il n'a abouti qu'à des polémiques houleuses et à la division de la société. Pour couper court, les dirigeants politiques de l'époque et les députés de la Constituante ont préféré jouer l'autruche et refiler la patate chaude aux générations futures avec cette constitution hybride, contradictoire et… idiote ! Ils savent parfaitement que le pays ne peut pas être régulé en se basant sur des lois divines aux interprétations multiples, mais ils l'ont fait quand même !
Héritant de cet état de fait, Béji Caïd Essebsi tente de faire avancer le schmilblick vers davantage de laïcité. Solution incontournable pour que l'on puisse vivre ensemble et que chacun estime qu'il est citoyen à part entière. Ses dernières propositions relatives à l'égalité de l'héritage et le mariage des Tunisiennes aux non-musulmans ont déclenché immédiatement des campagnes hostiles de la part des auto-proclamés gardiens du dogme, tunisiens et arabes. Ces derniers refusent catégoriquement qu'il y ait des lois contraires à la chariâa, disent-ils. Ils appellent carrément à renverser le régime, sous ce prétexte. De la pure hypocrisie et de la mise en scène, car les lois tunisiennes ont, depuis des décennies, renfermé des textes contraires à la chariâa, sans pour autant que les prétendus avocats de Dieu ne les remettent en question. Ils font simplement de la surenchère religieuse pour justifier leur existence et obtenir une place sur la scène publique. Ceux qui sont derrière l'agression de la professeure ne font pas exception. Du pur héroïsme de façade pour obtenir une légitimité auprès de bailleurs de fonds islamistes du Golfe, des syndicats, des partis politiques, etc. Il en existe des milliers dont les plus célèbres peuvent s'appeler Hachemi Hamdi, Adel Almi, Wajdi Ghonim, Qardhaoui… Ainsi donc, pourquoi aucun d'eux ne cherche à couper les mains aux voleurs, à pendre les citoyens en pleine rue, à interdire aux femmes de désobéir aux hommes, à imposer aux femmes l'accompagnement d'un tuteur légal pour voyager ? S'ils sont cohérents et sincères dans leurs plaidoiries, qu'ils appellent à importer les lois saoudiennes ou afghanes ! Sauf qu'on ne les entend que lorsque leurs propres intérêts sont touchés, comme par exemple dans l'histoire de l'égalité de l'héritage. La semaine dernière, le chef du gouvernement a demandé au ministre de la Justice de publier une circulaire faisant annuler celle de 1973 interdisant aux Tunisiennes de se marier à des non-musulmans. Deux jours plus tard, par miracle, l'affaire Faïza Souissi a été déclenchée, un peu comme pour dire « attention tunisiens musulmans jaloux pour votre religion, vos enfants sont en danger, leur prof est mécréante, l'islam est en danger» ! L'islam est donc si fragile et la foi si légère qu'une prof peut les menacer ? Dire cela est carrément une insulte pour l'intelligence des croyants et la force de la religion ! Mais les gardiens du dogme n'en ont cure. L'essentiel pour eux est d'obtenir une place au soleil et le chèque d'un cheïkh du Golfe arabe. Le business de la religion est juteux, l'interdire est vital, la foi des gens ne peut pas demeurer éternellement le commerce de ces marionnettistes sans foi, ni loi. Il s'agit d'affaires personnelles entre l'individu et son Dieu et cela ne regarde nulle autre personne !