Ennahdha a tenu son Majlis Echoura ce samedi et a décidé d'ouvrir une autoroute pour Hafedh Caïd Essebsi. Il n'y a quasiment plus de doute maintenant, Hafedh Caïd Essebsi devrait être facilement élu aux législatives partielles qui auront lieu en Allemagne grâce aux voix islamistes. Rached Ghannouchi fait avec le fils ce qu'il a fait, en 2014, avec le père. Le président d'Ennahdha a ouvert la voie du palais de Carthage devant Béji Caïd Essebsi à la présidentielle de 2014 en votant pour lui et, là, il s'apprête à faire pareil avec Hafedh en lui ouvrant la voie du palais du Bardo. C'est là une des règles du jeu démocratique, il n'y a rien à dire. Rien n'empêche, démocratiquement parlant, un parti d'aider un autre. Pendant ce temps-là, l'Autriche a élu un «beau gamin » de 31 ans pour la diriger. Que le conservateur Sebastian Kurz s'approche de l'extrême droite ne préfigure rien de bon, mais c'est là aussi une des règles du jeu démocratique. Rien n'empêche, démocratiquement parlant, un peuple d'avoir de nouveau des Nazis à sa tête… Sauf qu'en Autriche, et contrairement à la Tunisie, ils ont le mérite d'être clairs.
Retour en 2014. On est en pleines législatives et présidentielle et Nidaa, l'actuel parti de Hafedh, jurait ses grands dieux d'en finir avec la triste époque de la troïka, une des pires époques de l'Histoire récente du pays. On nous promettait d'en finir avec la saleté et la corruption. On nous promettait de juger et de mettre en prison toute la racaille qui nous a gouvernés et a plombé les comptes du pays. « Vous allez voir ce que vous allez voir ! On vous le jure ! Les Ali Laârayedh, Mohamed Ben Salem, Salim Ben Hamidène, Noureddine Bhiri, Imed Daïmi iront tous en prison ! Ils paieront de leurs méfaits ! ». C'est une règle maintes fois prouvée, « les promesses des politiques n'engagent que ceux qui les écoutent ». Cette règle, en 2014, on l'a oubliée. Ou plutôt, on a feint de l'oublier. On estimait que ça ne pouvait de toute façon pas être pire. Sauf que voilà, ce n'est pas parce que la situation de 2017 sous BCE n'est pas pire que celle de 2014 sous la troïka que l'on doit nous réjouir et accepter ce qui se trame actuellement. Et il est évident, pour nous, que la situation de 2020 risque fort d'être pire que 2014 si l'on continue ces fornications entre Nidaa et Ennahdha. Ça commence à en faire trop ! Il y a une impression de « cocufication » aussi bien chez les électeurs de Nidaa que ceux d'Ennahdha.
Les électeurs d'Ennahdha ont élu leurs députés sur la base d'une réislamisation du pays avec la chariâa comme référence législative. On leur a promis la fin de l'ancien régime répressif et de ses figures. Ils se retrouvent avec des députés en train de voter pour réduire la taxation de l'alcool, le passage de la loi de la réconciliation et la dépénalisation du cannabis et un gouvernement composé, en partie, par des ministres de Ben Ali. Quant aux électeurs de Nidaa, on leur a promis d'en finir avec l'islamisme et les figures islamistes et le retour de l'Etat moderne et de la croissance. Ils se retrouvent avec un Béji Caïd Essebsi chantant les louanges de Ali Laârayedh et un Rached Ghannouchi soutenant la candidature de son fils. Ils ont voté Saïd Aïdi dans un parti dirigé par Mohsen Marzouk, Néji Jelloul, Lazhar Akremi et Abdelaziz Mzoughi, ils ont trouvé, trois ans après, Hafedh Caïd Essebsi, Borhen Bsaïes et Khaled Chouket ! Il y a eu un million de femmes et la majorité de la gauche et des francophones pour les élire et voilà que l'un d'eux (Chouket) se permette d'insulter sur antenne la gauche (qualifiée de caviar), une figure principale de la gauche féminine (Saïda Garrache) et les francophones ! On marche sur la tête !
Pour calmer la colère de ses troupes, Rached Ghannouchi a dit que c'est une tactique et qu'on doit cohabiter ensemble. Pour calmer la colère de ses troupes, Béji Caïd Essebsi a dit que l'on ne peut pas faire autrement, car le poids des islamistes est important. Et pourquoi vous n'avez pas dit ça avant ? Et pourquoi, dans ce cas, avoir fait des élections et dépensé tant d'argent et d'énergie ? Il aurait suffi de faire appel à Hassen Zargouni pour nous dire comment le pays est composé et désigner, à partir de ses sondages, nos gouvernants !
Cette fornication Ennahdha-Nidaa est contraire à la loi démocratique et s'apparente à de l'adultère. Les uns et les autres ont trompé leurs électeurs. Pour qu'elle soit légitime, il aurait fallu en informer au préalable les électeurs et leur dire : « voilà, nous allons fusionner pour votre bien, car on ne peut pas faire autrement ! ». C'est comme ça que font les partis qui respectent leurs populations. Les derniers en date sont Attayar et l'Alliance démocratique. Hélas, ces deux partis ne pèsent pas beaucoup dans le paysage. Dans les démocraties normalement constituées, le premier parti aux élections gouverne et le second s'oppose. L'un et l'autre constituent des alliances pour pouvoir faire passer des lois. Dans l'impossibilité, c'est la crise politique annoncée et c'est là les limites du système démocratique, le moins mauvais des systèmes. On en est là en Tunisie avec un système politique étrange à notre réalité. Un système qui nous a été imposé de l'extérieur par des experts qui prétendent connaitre notre bien mieux que nous.
Il y a un mois, j'écrivais que l'entrée de Hafedh Caïd Essebsi à l'ARP est une problématique nationale, que la contrer est un devoir, vu les risques qu'elle présente sur le pays. On y est ! C'est fort regrettable pour le pays, mais également pour les deux camps, islamiste et laïc, qui ont fait « tout ça pour ça ». C'est surtout dommage pour Béji Caïd Essebsi qui, on croyait, devait entrer pour la postérité éternelle et l'Histoire avec un grand H, à l'image de son prédécesseur Habib Bourguiba. Vous pouvez dès maintenant féliciter Hafedh Caïd Essebsi, il va se faire élire en Allemagne et il devrait briguer bientôt le poste de président de l'Assemblée avec la bénédiction du parti religieux et le sourire satisfait de ses parents.
N.B : Mes sincères condoléances à la famille de Lazhar Bououni et tous ses amis et anciens collègues. L'ancien ministre est mort seul, le dépit au cœur après l'ingratitude et la bêtise de son peuple qui a, naïvement, cru aux paroles de ses politiques d'après 2011.