L'Assemblée des représentants du peuple vient d'adopter une convention de prêt de 250 millions d'euros pour le financement du budget de l'Etat. La nouveauté est que ce prêt sera contracté en devises auprès des banques tunisiennes. Certains élus ont salué cette initiative et d'autres l'ont vivement critiquée. Dans les deux cas, ce sera une nouvelle source d'endettement pour l'Etat tunisien. Un pool de banques tunisiennes s'est constitué pour fournir un prêt au profit du budget de l'Etat d'une valeur de 250 millions d'euros. Il s'agit de la Banque Internationale Arabe de Tunisie (BIAT), Attijari Bank, l'Union Internationale de Banques (UIB), la Banque nationale agricole (BNA), l'Arab Tunisian Bank (ATB), la Société tunisienne de Banques (STB), l'Amen Bank, la Banque de Tunisie (BT), la Banque de l'Habitat (BH), l'Arab Banking Corporation (ABC), la Nord African international Bank (NAIB), la Tunisian International Bank (TIB), et la Banque de Tunisie et des Emirats (BTE). Une méthode de financement jusque là inédite pour l'Etat tunisien. L'endettement « classique » fait que la Tunisie sollicite des prêts extérieurs libellés en devises étrangères ou un endettement intérieur libellé en dinars tunisiens. Aujourd'hui, l'Etat tunisien emprunte les devises détenues par les banques tunisiennes pour renflouer un budget chancelant.
La séance qui s'en est suivie au parlement a été l'occasion pour les élus de questionner le ministre des Finances, Ridha Chalghoum, sur ce prêt. Les interventions sont allées du plus populiste, avec Ammar Amrouseyya disant au ministre qu'ils se retrouveront tous à Rjim Maâtoug quand le peuple se soulèvera, au plus rationnel, avec Marouen Felfel qui a salué le fait de trouver un nouveau mode de financement du budget de l'Etat. Ridha Chalghoum, quant à lui, en a profité pour dissiper certaines craintes concernant l'effet inflationniste que pourrait avoir ce type de prêt en déclarant que la contrepartie monétaire est garantie et que les devises seront placées à la Banque centrale. Le ministre a également évoqué l'endettement, de manière générale, pour l'Etat tunisien. En effet, certains élus se sont émus du fait que les sommes empruntées par la Tunisie ne soient pas destinées à l'investissement et à la création de richesses. Pire encore, Mongi Rahoui, président de la commission des finances à l'ARP, avait déclaré sur Express FM que les prêts contractés servent désormais à payer les échéances des prêts antérieurs !
Ainsi, le ministre de Finances a déclaré à l'ARP, le 7 novembre 2017, que le taux l'endettement des dernières années, depuis 2011, a presque doublé par rapport à ce qu'empruntait la Tunisie auparavant. En effet, on parle aujourd'hui de près de 70% de taux d'endettement par rapport au budget de l'Etat, ce qui est un indicateur rouge écarlate. L'expert économique, Moez Joudi, s'en est indigné dans une publication Facebook en écrivant : « Le ministre des Finances a donné une information capitale hier à l'ARP que les initiés connaissent déjà. Normalement, suite à l'annonce officielle d'hier et en temps normal dans un pays normal, tout doit s'arrêter, l'information doit être analysée en profondeur et un débat national doit s'ouvrir autour de la question! L'information est relative à l'endettement de la Tunisie qui, comparativement à durant 50 ans depuis l'indépendance, a doublé juste en 6 ans!!!!? Ce que je peux rajouter sur ce qui a été annoncé par le ministre des Finances, c'est que pire que le doublement du montant en moins de dix ans, c'est l'utilisation de cette dette: Que des dépenses publiques, que des charges, que des frais, que des salaires que de l'argent jeté par les fenêtres!!! Aucun projet, aucun investissement d'envergure, aucun développement, aucun placement!! Il y a pire encore: les responsables politiques de ce désastre sont encore là, au pouvoir!! ».
Plusieurs explications viennent à l'esprit en voyant ces chiffres, qui sont un secret de polichinelle pour les connaisseurs des finances publiques. D'abord, il y a eu un recrutement massif dans la fonction publique à travers l'amnistie générale ou encore l'intégration des agents de la sous-traitance en tant que fonctionnaires. Tout cela s'est couplé avec un ralentissement, pour ne pas dire un arrêt, de l'activité économique du pays, ce qui a eu un effet immédiat sur les prélèvements et donc sur l'une des principales ressources du budget de l'Etat. Ainsi, en à peine 5 ans, on a augmenté exponentiellement les dépenses de l'Etat tout en remplaçant progressivement les taxes et impôts par les prêts extérieurs et intérieurs, d'où la situation actuelle de l'endettement. En plus, rien ne semble infléchir cette tendance car, si l'on examine le projet de Loi de finances 2018 à titre d'exemple, l'Etat ne semble pas enclin à réduire son train de vie. Plusieurs experts avaient préconisé que, au vu de la situation économique difficile, l'Etat devrait plutôt réorienter son action en fonction des ressources dont il dispose. Mais cet appel est resté lettre morte.
Inutile de rappeler qu'avant, ça ne se passait pas de la sorte et que le ministère des Finances d'un côté, et la Banque centrale de l'autre, étaient tenus d'une main de fer. Comme le rappelle Taoufik Baccar, ancien gouverneur de la Banque centrale : « Durant vingt ans, de 1991 à 2011, la Tunisie n'empruntera aucun dollar du FMI ; En 1994, elle aura son grade d'investissement et accédera au marché financier international réussissant à faire des sorties sur ce marché sans la garantie de quiconque sinon sa signature et sa capacité à honorer ses engagements, souveraineté nationale exige. En 2006, elle accédera à travers l'Agence Japonaise R and I au grade A- d'habitude réservé aux pays développés et réussira en juillet 2007, en pleine bourrasque financière internationale, à lever des ressources à vingt ans pour un spread de 70 points de base c'est à dire 0.7 % , une sortie qui restera dans les annales de ce pays ».
Un audit poussé de la dette tunisienne et une enquête sur la manière dont cet argent a été dépensé semble s'imposer. Il faudrait également que l'Etat puisse redéployer sa force de frappe, aussi bien au niveau sectoriel qu'au niveau financier. Il est illogique de continuer à dépenser comme si l'économie marchait normalement et comme si les ressources de l'Etat étaient constantes.