Le ministre était présent, tout comme son staff, mais la plénière ne pouvait pas se tenir ce lundi 4 décembre 2017, lendemain d'un long week-end de la fête du Mouled. La raison : l'absence de 210 députés ou plutôt le retard de 210 députés sur un total de 217. La chose n'est pas nouvelle, c'est quasiment tous les jours la même rengaine. Le vice-président de l'ARP, Abdelfattah Mourou, en fait d'ailleurs une affaire personnelle. Il tient à respecter les procédures et à ouvrir la séance à l'heure légale (soit à 9 heures) pour enregistrer la présence. « L'Histoire est en train de s'écrire et je tiens au respect des procédures », a-t-il déclaré mardi dernier devant les seuls 13 députés présents. Ce jour-là, aussi, le ministre était présent et était en train d'attendre que les 204 députés absents rejoignent leurs fauteuils. Prenant la parole, le député Souheil Alouini (Al Horra) a déclaré : « on s'est mis d'accord hier pour démarrer la séance à 9 heures. C'était un engagement de notre part, nous avons quatre ministères à auditionner aujourd'hui. Les députés sont là à la buvette ! Le ministre est là, son staff est là, alors démarrons et tant pis pour les absents ! ». Avant lui, le député Chafik Ayadi (Front Populaire) demandait au vice-président de l'ARP d'attendre les retardataires encore 20 minutes. Parmi les retardataires, dit-il, figurent ceux qui devaient intervenir en premier pour cette séance matinale. Légalement, Abdelfattah Mourou pouvait démarrer la séance et tant pis pour les retardataires comme le signalait M. Alouini. Sauf qu'il fallait ensuite affronter un problème légal, celui du vote. En l'absence de quorum, il est impossible de voter quoi que ce soit. En résumé, les 7-13 députés présents, ainsi que le ministre et son équipe de directeurs et conseillers, ont beau être ponctuels, ils sont bloqués à cause d'une majorité de députés irresponsables et irrespectueux.
Ce qui s'est passé ce matin du 4 décembre illustre à merveille le mal dont souffre le pays. Le gouvernement est présent et il est prêt à travailler, mais il se trouve bloqué à cause de quelques députés, de quelques syndicats, de quelques voleurs, de quelques retardataires, de quelques corrompus, de quelques archaïques. Pareil pour les entreprises, pareil pour les ministères, pareil pour l'administration. Le souci avec les députés est qu'ils représentent la plus haute autorité de l'Etat et se doivent, à ce titre, de donner l'exemple. Or nos députés, une bonne partie d'entre eux du moins, ne font que donner le mauvais exemple. Il n'est ainsi pas étonnant de voir l'un d'eux siroter une bière sur le zinc d'un bar au moment même où il est censé débattre ou suivre le débat d'une loi au Bardo. Combien de ministres ont déclaré que les députés font tout pour pérenniser la culture du népotisme dans le pays. Le dernier en date à avoir eu le courage de le dénoncer publiquement est Khemais Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères en déclarant : « les députés ne viennent que pour leurs intérêts personnels ». On ne compte plus les députés suspectés d'être impliqués dans des affaires liées au terrorisme ou à la corruption. Le dernier en date à les avoir dénoncés publiquement est le syndicaliste sécuritaire Issam Dardouri qui a fourni moult révélations appuyées par des documents que la justice peine à suivre en raison de l'immunité des députés et des pressions politiques. Combien de fois la presse a révélé des scandales frappant les députés, mais dont on entendait plus parler par la suite. Cela frappe aussi bien les députés à la réputation sulfureuse que ceux qui se sont auto-enveloppés de draps blancs. On se rappelle tous de la proposition de Ghazi Chaouachi (Attayar) qui voulait des réductions sur les billets Tunisair et des passeports diplomatiques pour lui et les familles de ses collègues. On se rappelle également de tout ce qui a été relayé dans les médias au lendemain de l'arrestation de Chafik Jarraya et des députés qui lui sont acquis. Ou encore de ces « hommes d'affaires » qui avouaient publiquement avoir « acheté » des députés. Autant d'affaires étouffées et dont on ne parle plus.
Un jour, Samia Abbou a déclaré que Béji Caïd Essebsi n'est pas le président de la Tunisie, mais celui de la Mafia. On aimerait bien l'entendre dire la même chose de ses pairs qui s'assimilent, eux aussi, à une mafia ou, n'exagérons rien, un petit cartel. Ces députés par leur retard « insignifiant de 20 minutes » font subir un retard à tout le pays. En se cachant derrière leur immunité et en se mettant d'accord à ne pas la faire lever entre eux, ils pérennisent la culture de l'impunité. En refusant de faire passer certaines lois avant-gardistes ou douloureuses, ils maintiennent le pays en l'état et il est pire qu'il ne l'était avant la révolution. Le salaire mensuel net d'un député avoisine les 3200 dinars auxquels on ajoute une série d'avantages, de primes, de prises en charge et d'impôt qui feraient tripler facilement le montant. Lors du vote de leur budget 2018, plusieurs députés ont affirmé que celui-ci était insuffisant. Il avoisine pourtant les 31 millions de dinars, soit près de 12.000 dinars par député et par mois. Voilà ce que ça coute cette assemblée au contribuable et c'est insuffisant, disent-ils. En contre partie, ils se donnent le droit de ne pas être à l'heure, de ne pas voter les lois qui font sortir le pays du marasme, de vider des lois de leur essence comme c'est le cas avec la Loi de finances 2018, de servir leurs intérêts personnels ou de ne pas se faire lever l'immunité bloquant par là la machine judiciaire. On assiste à leurs querelles, à leurs calculs de politique politicienne et à leurs soumissions aux lobbys et nous sommes impuissants face à eux, tout comme le gouvernement. Tout cela a un prix et c'est le pays et les générations futures qui vont le payer.