Dimanche 1er mars 2015, Abdelfattah Mourou se déplace à Doha pour rendre visite à Youssef Qaradhaoui. Abdelfattah Mourou est avocat, vice-président du parti islamiste Ennahdha et vice-président du parlement tunisien. Youssef Qaradhaoui est théologien, islamologue et auteur de plus de 120 livres, tous liés à l'islamisme. Qatari d'origine égyptienne, Qaradhaoui a été récemment mis sur la liste des personnes recherchées par Interpol. Il fallait s'attendre à ce qu'il paie pour ses théories radicales, son discours extrémiste et ses appels nets à la violence et aux meurtres, pour ne pas dire terrorisme. Mais vu qu'il bénéficie de la protection qatarie, il ne craint pas grand-chose pour le moment. Et pour lui donner encore du crédit, le bonhomme reçoit, derrière son bureau, des « subalternes » du monde entier. Un des derniers en date, notre Abdelfattah Mourou. Qu'est-il allé faire ? Officiellement, c'était pour un dialogue religieux. En théorie, un avocat ça sait mentir, mais Abdelfattah Mourou ne sait pas mentir. On va donc supposer que notre avocat est allé faire un dialogue religieux avec Youssef Qaradhaoui, recherché par Interpol. Officiellement, Me Mourou est parti en son nom propre. Mais au vu du communiqué officiel de Qaradhaoui à propos de cette visite, on lit que notre avocat qui ne sait pas mentir est présenté comme vice-président d'Ennahdha et vice-président de l'ARP. Mais puisque notre avocat nous dit qu'il est allé en son nom propre, on se doit de le croire. Youssef Qaradhaoui est recherché par Interpol. L'ARP a un grand nombre de dossiers en instance et de lois urgentes attendant de passer en plénière. Et c'est en cette période cruciale que Abdelfattah Mourou a choisi d'avoir un dialogue religieux. Il n'a pas mieux à faire que d'aller discourir religion avec un « repris de justice », lui qui est payé des milliers de dinars par le contribuable pour lui voter des lois et faire avancer le pays ? Ceux qui ont voté Nidaa Tounes et Béji Caïd Essebsi avaient en tête une promesse électorale maintes fois réitérée : le prestige de l'Etat. Et voilà où il en est de ce prestige de l'Etat ! Le vice-président de la plus haute institution de l'Etat mène des débats religieux avec un recherché d'Interpol qui, plus est, se met derrière son bureau pour lui parler. Pareille rencontre tombe sous le coup de la loi tunisienne. Imaginez ce qui ce serait passé, si c'était un citoyen lambda qui était allé voir Abou Iyadh ! Mais vu que Abdelfattah Mourou est vice-président de l'ARP et qu'il bénéficie de l'immunité parlementaire, il se positionne au dessus des lois. Le ministère public ne réagit pas, la présidence de l'ARP non plus et encore moins la présidence de la République. On vivrait dans une république bananière, qu'on ne se comporterait pas autrement.
Ceux qui connaissent le discours de Youssef Qaradhaoui savent parfaitement que celui-ci n'a rien de pacifiste. Ils savent parfaitement que l'octogénaire rêve d'en finir avec l'Etat civil et veut restaurer un empire islamiste commandé par la chariâa et dirigé par des cheikhs polygames. La Tunisie dans son actuel mode de vie ? Nous sommes des impies à ses yeux et notre pays doit être conquis de nouveau. Il l'a dit clairement et sans ambigüité. A nos yeux, Youssef Qaradhaoui est un ennemi de la République, un ennemi de la démocratie, un ennemi de la laïcité. Un ennemi tout court. Et les plus extrémistes d'entre nous n'hésiteront pas à le qualifier de terroriste ou, au minimum, d'apôtre du terrorisme. Sur le plan diplomatique, cette visite est un signe inamical à l'encontre de l'Egypte avec qui nous tentons de rétablir les relations après les crises déclenchées par l'ancienne troïka. La visite du vice-président de l'ARP à ce recherché d'Interpol n'envoie que des signaux négatifs. Mourou montre à son peuple qu'il n'en a que foutre des lois internationales. Il n'en a que foutre de la République. Et il n'en a que foutre des relations tuniso-égyptiennes. En dépit de tout ce qui précède, nous n'avons aucune réaction officielle pour dénoncer cet écart de conduite de Abdelfattah Mourou et nous n'avons vu aucune instruction ouverte pour enquêter sur l'objet réel de la rencontre de Doha. Il n'y va pas uniquement du prestige de l'Etat et du respect des lois nationales et internationales, il y va carrément de la sécurité de l'Etat. Qatar est un Etat qui soutient clairement le terrorisme et ceux qui le font en Libye. L'Egypte (qui a mis Qaradhaoui sur la liste d'Interpol) est une partie prenante dans le conflit libyen, tout comme la Tunisie. La rencontre Qaradhaoui-Mourou n'a rien de religieux et il faut être naïf pour le croire.
Le pire, c'est que les rares qui ont dénoncé ce comportement du vice-président de l'ARP se trouvent lynchés sur les réseaux sociaux. Il parait que nous n'avons pas le droit de douter de la parole de Mourou et que nous n'avons pas le droit de douter de la morale et de l'intégrité de Qaradhaoui. L'octogénaire est un « maître » à qui on doit respect et obéissance, parait-il ? Et pourquoi ne pas l'embrasser sur le front tant qu'on y est ? Ces mêmes personnes qui nous lynchent quand on critique les Qaradhaoui et Mourou se permettent de lyncher de véritables islamologues et grands chercheurs tels Mohamed Talbi et Youssef Seddik. Ils n'ont pas 0,1% de la connaissance de Talbi et Seddik et se permettent de les ridiculiser, de les moquer et de les injurier. Ils magnifient des terroristes sanguinaires et ils pendent des scientifiques pacifistes. Voilà où on en est ! Depuis la révolution, on ne cesse de casser la véritable élite tunisienne qui subit, quotidiennement, des violences de tous genres de la part d'incultes ensorcelés par les gourous du Golfe. Zyed Krichen, Olfa Youssef, Hamadi Redissi, Raja Ben Slama, Mohamed Talbi, Youssef Seddik, Hichem Djaïet, autant de grands intellectuels tunisiens qui ont subi et subissent encore les injures de la racaille. Jusqu'au sommet de l'Etat quand on pense à un certain Hamadi Jebali lorsqu'il a déclaré que le grand malheur de la Tunisie réside dans son élite. Cette même famille de Jebali magnifie les recherchés par la justice, les embrasse sur le front et les catapulte au sommet du Savoir. Qu'ils pensent ce qu'ils veulent de leur Qaradhaoui et qu'on pense ce qu'on veut de Talbi, là n'est pas le problème. Mais lorsque le vice-président de l'ARP rend visite à un extrémiste, apôtre du radicalisme, voire du terrorisme, cela devient un problème national.