Pour beaucoup de Tunisiens, l'heure de la rentrée a sonné ces derniers jours. L'année scolaire a commencé samedi 15 septembre pour les établissements étatiques et elle débute en ce début de semaine pour les écoles du privé. Avec le boom démographique de 2011, les classes de première année primaire sont prises d'assaut cette année. « La mauvaise surprise » cette année est l'augmentation du nombre d'élèves dans le primaire de plus de 42.000 nouveaux écoliers. En 2011, en plein mois de janvier, hiver et couvre-feu aidant, les couples tunisiens étaient plus occupés à faire l'amour qu'à faire la guerre. Résultat : 42 mille nouveaux chérubins scolarisés dans le système tunisien et 42 mille écoliers à « caser » dans les écoles tunisiennes. Pourquoi « mauvaise surprise » ? Car le système scolaire tunisien n'a pas eu le recul nécessaire, ni les moyens d'ailleurs, de prévoir ce boom et de s'y adapter.
Les réformes de l'enseignement s'adaptent chaque année avec le nouveau ministre nommé au sein du département. Après Néji Jalloul, Slim Khalbous par intérim et, aujourd'hui, Hatem Ben Salem, le département de l'Education se trouve plus dans l'improvisation que dans la plannification à long terme. On annonce cette année une « rentrée pas comme les autres » et des « mesures révolutionnaires ». Parmi elles, la digitalisation des procédures d'inscription à distance. Une opération, annoncée en grande pompe, qui n'a pas réussi son coup à cause des nombreux retards et bugs liés à sa mise en place. Encore un couac dont le ministère de l'Education se serait pourtant bien passé. Mais vous savez pour qui la rentrée est bien préparée et ficelée ? Les syndicats bien sur ! Qui d'autre peut annoncer une grève entravant l'année scolaire bien avant le début de l'année…et s'y tenir ? Le puissant syndicat de l'Enseignement, mené par le non moins puissant Lassaâd Yaâcoubi, annonce déjà une rentrée scolaire chaude et mouvementée, et ce alors que les vacances n'étaient pas encore finies. On peut lui faire confiance pour tenir sa promesse. En effet, quelques jours après la rentrée scolaire, les réunions de la commission administrative seront tenues et devront aboutir à de sérieux mouvements de protestation, le gouvernement n'étant pas encore décidé à donner au syndicat gain de cause. Les grands perdants de ces bras de fer et de ces cafouillages à répétition seront bien sur autant les élèves que les parents. Elèves dont l'année scolaire sera rythmée par le bon vouloir des syndicalistes et parents qui seront les esclaves des grèves et manifestations annoncées en surprise et qui s'éterniseront comme à chaque fois.
Mais au-delà de tous ces couacs, le système éducatif tunisien a réellement besoin d'une restructuration et d'une mise à niveau urgente mais qui ne se fera pas dans l'improvisation. Une infrastructure défaillante et insuffisante, un personnel pas toujours qualifié, un programme loin d'être au point et un département géré dans l'urgence et sous la contrainte. Alors que dans d'autres pays voisins, on fait face à la question d'enseigner, ou non, aux petites classes des cours d'éducation sexuelle et de la place que les notions de genre devront avoir dans l'école, en Tunisie, on se retrouve embourbé dans le dilemme du privé versus public. En effet, le système éducatif étatique a perdu de sa superbe au profit d'écoles privées rivalisant en services de toutes sortes. Mais ce système reste la référence, et l'unique option, pour nombreuses familles tunisiennes qui n'ont ni les moyens ni le choix d'aller voir ailleurs. Pour ces familles, le dilemme ne concerne pas la qualité de l'enseignement à dispenser aux enfants ou la meilleure école à choisir pour eux, mais comment les faire traverser les kilomètres de pistes non praticables pour étudier dans des écoles à l'infrastructure archaïque et situées à l'autre bout de la ville. Une pensée à tous ces enfants qui sont obligés de parcourir de longs kilomètres, à pied, chaque jour, pour accéder à leurs classes...
Si septembre est le mois de toutes les rentrées, scolaire, académique et parlementaire, il devrait aussi l'être pour le secteur de la santé. La rentrée sanitaire, tout aussi importante, que la rentrée scolaire devrait être organisée ce mois-ci. Oui, car les hôpitaux tunisiens ne peuvent plus rester davantage dans cette situation. Rester des semaines encore sans ascenseurs, avec des malades opérés et fragiles, transportés sur les bras et dans les escaliers ; sans scanners ; sans personnel compétent ; sans infrastructure de base pour accueillir les malades et leur dispenser les soins nécessaires, dans le respect de la dignité humaine. Des écoles et des hôpitaux opérationnels, est-ce qu'on en est encore là aujourd'hui?