La Coalition tunisienne contre la peine de mort, membre du Comité de Pilotage de la Coalition mondiale contre la peine de mort, célèbre le 10 octobre 2018 la 16e Journée mondiale contre la peine de mort. Elle s'associe au combat commun mené dans les cinq continents par plus de 150 ONG, barreaux d'avocats, collectivités locales et syndicats membres de la Coalition mondiale, et à celui des abolitionnistes du monde entier en vue de l'abolition universelle. Cette année, la Journée mondiale se concentre sur les conditions de détention auxquelles font face les personnes condamnées à mort. Le traitement inhumain imposé aux condamnés à mort, leur enfermement et leur angoisse face à l'exécution, constitue en lui-même indépendamment de la perspective d'une exécution, une situation préoccupante faite de souffrances physiques et mentales, que l'on peut dans certains cas assimiler à une forme de torture.
En Tunisie, jusqu'en 1995-96, les condamnés à la peine capitale ont vécu l'isolement, enfermés dans des cachots, le plus souvent enchainés, y compris la nuit. La Révolution a mis fin aux abus les plus choquants dont ils étaient victimes. Ils ont notamment été autorisés à bénéficier de la correspondance, de la visite de leur famille et à recevoir des couffins de nourriture.
Durant leur incarcération, jusqu'à la commutation de leur peine en 2012, les condamnés à mort ont vécu dans la terreur de leur exécution et ont développé des pathologies liées au syndrome du couloir de la mort. Aujourd'hui encore, cette pathologie n'a pas totalement disparu. Leurs conditions de détention semblent paradoxalement s'être dégradées depuis la révolution, car les prisons sont frappées par des restrictions budgétaires. Le suivi médical et psychologique des condamnés à mort est globalement défaillant. Un grand nombre de prisonniers usent et abusent d'anxiolytiques et de psychotropes. Il n'existe aucun dispositif d'accompagnement ou d'aide à la réinsertion dont pourraient bénéficier les condamnés à mort graciés et libérés, qui sont donc abandonnés à eux même à leur sortie de prison.
La CTCPM, rappelant que le droit à la vie est le premier des droits, considère que la peine de mort est cruelle, inhumaine et dégradante, qu'elle n'est pas la justice, qu'elle est irréversible, qu'elle n'est pas dissuasive, et qu'elle est discriminatoire et inégalitaire.
Nous appelons les autorités tunisiennes - sur le plan politique à : * ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; * appuyer l'adoption du projet de Protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif à l'abolition de la peine de mort en Afrique ; * abolir la peine de mort pour tous les crimes ; * voter en faveur de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies appelant à un moratoire universel sur l'application de la peine de mort en 2018. * revenir à la règle de l'unanimité pour les jugements de condamnation à mort au sein des juridictions tunisiennes. - sur le plan médical, à : * Garantir la non-responsabilté pénale des déficients mentaux, en accord avec les standards internationaux et la loi tunisienne. * Assurer aux condamnés à mort un accès à des traitements et à une assistance médico-psychologique correspondant aux standards internationaux. - sur les plans humanitaire et pénitentiaire, à: * Garantir une information publique sur le nombre des condamnés à mort et leur identité. * Garantir aux condamnés à mort des conditions de détention correspondant aux standards internationaux et notamment aux Règles de Nelson Mandela.
Depuis les années 1980 la tendance globale vers l'abolition de la peine de mort est une constante. 16 pays avaient aboli la peine de mort en droit pour tous les crimes en 1977. Aujourd'hui, les deux tiers des pays dans le monde (143) sont abolitionnistes en droit ou en pratique. En Afrique, la majorité des Etats (43 sur 55) ont rejoint le camp abolitionniste. Il est temps pour la Tunisie de confirmer son rôle d'avant-garde au niveau régional en devenant le premier pays arabe abolitionniste de droit.
*Chokri Latif : Président de la Coalition tunisienne contre la peine de mort (CTCPM)