Les relations un peu complexes qu'entretiennent les journalistes avec les hommes politiques, et réciproquement, c'est un peu du « je t'aime, moi non plus », à la fois incontournables, et parfois empreintes de méfiance. Dans une démocratie naissante, comme la nôtre, il est facile d'accuser les médias, surtout quand un homme politique n'a rien à « vendre » au public, pour retenir son attention, à l'exception du « buzz », à travers la « provocation » des journalistes, ou des chroniqueurs sur les plateaux télévisés. Le cas de l'altercation verbale, entre Abir Moussi, présidente du parti destourien libre (PDL), et Mohamed Boughalleb, chroniqueur, hier, sur le plateau de Rendez-vous 9, sur la chaîne Attessia, est un cas édifiant. Abir Moussi qui, depuis quelques temps, crie à qui veut l'entendre, que les médias, particulièrement les plateaux télés, ont blacklisté son parti. Et pourtant, en moins d'une semaine, la politicienne a été sur plus d'un plateau télé et radio. C'est dire que sa stratégie de victimisation a fini par payer et pas seulement. L'altercation avec Boughalleb- qu'elle a cherché d'ailleurs- s'est limitée à un échange d'insultes sans aucun débat constructif. Abir Moussi n'a pas manqué d'exploiter l'incident, en tenant un sit-in devant le siège de la chaîne, avec les dirigeants de son parti, assurant qu'elle a été « humiliée et victime d'une violence verbale, et même menacée, dans les coulisses par le chroniqueur ». A voir le nombre de personnes présentes lors du sit-in, on se demande si tout cela n'a pas été prémédité pour poursuivre une stratégie de victimisation, accusant encore une fois les journalistes de « manipulateurs », de d ' « impartiaux », afin de drainer des sympathisants et manipuler, à son tour, l'opinion publique.
Politique et Médias sont un tandem passionnant, entre collusion, pressions et manipulations. Deux univers qui se côtoient de loin, de près, qui se comprennent parfois, qui s'aiment ou se déchirent. Mais, le plus souvent, ce sont les journalistes qui sont pointés du doigt. Ils sont sur le banc des accusés, notamment pour leur choix des invités politiques qu'ils reçoivent sur les plateaux. Pour les politiques, ce sont les journalistes qui choisissent les thèmes et les invités. Pour les journalistes, en revanche, certains hommes politiques tentent d'instrumentaliser les médias, et de jouer de leur influence pour exercer des pressions sur les journalistes. Tout cela n'est pas totalement faux. Cependant, la plupart des médias sont conditionnés par l'actualité politique qui, elle-même conditionne, le choix des thèmes et des invités sur un plateau mais pas seulement. Le choix est aussi conditionné par d'autres critères dont le poids du parti sur la scène politique, sa représentativité à l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), ses activités, son rayonnement mais encore, la capacité de ses adhérents et de ses leaders, à débattre du thème proposé par l'émission.
Force est de reconnaitre qu'aucun médias ne peut, raisonnablement, inviter tous les hommes politiques, juste pour faire de la figuration. Au contraire, l'invité doit peser sur la scène politique, avoir une position par rapport aux thèmes proposés au débat et être à l'aise devant une caméra, ce qui n'est pas le cas de tous les politiques. Comme partout dans le monde, tour à tour aux manettes, médias ou politique s'instrumentalisent au grès de l'actualité. Une relation d'amour et de haine, dont personne ne peut se passer, bien que le rapport à l'information ait changé avec l'arrivée des réseaux sociaux. Un nouvel exercice de communication dont certains se passeraient bien, mais qui est devenu la norme. Alors, journalistes et politiques s'adaptent et composent dans ce nouvel espace. Et, là encore difficile de savoir qui mène la danse. Si certains en font l'antichambre de leur action politique, d'autres l'utilisent pour être sur les devant de la scène avec des petites phases, ou des vidéos, que les journalistes s'empressent de relayer dans la presse écrite, et dans les médias audiovisuels. Et, du coup les politiques qui réussissent à faire le buzz, sont invités dans les médias, qui eux-mêmes sont à la recherche du buzz pour consolider leur audience.
Or, le gros problème, des politiques et des médias, avec les réseaux sociaux, c'est que la plupart du temps, on n'est pas dans les médias, on est plutôt dans l'immédiat, dans la réaction, dans le buzz, dans la petite phrase, et très rarement dans l'explication. C'est ce qui fait que plusieurs invités ne font que renforcer le buzz, quand ils sont invités, ou pas d'ailleurs, dans les médias. Ils optent pour la provocation, l'insulte ou la menace d'intenter des procès aux journalistes. Ces derniers sont souvent accusés de maintenir, voire de promouvoir, un climat d'hostilité entre les politiques et les citoyens. Pire pour les politiques, si le Tunisien tourne le dos à la politique et déteste les politiciens c'est la faute des médias.
Ce genre de réaction n'est pas spécifique à la Tunisie. Doland Trump, président des Etats-Unis, ne se gène pas, lors des conférences de presse, pour tenir des propos offensants envers les journalistes. La relation est dans le rythme du « je t'aime, moi non plus », même aux Etats-Unis avec un dialogue de sourds bien instauré entre une partie de la presse et le président américain. Politiques et journalistes, se délectent d'un jeu dont chacun détient les règles. Mais dans ce jeu, les journalistes sont souvent pointés du doigt par les politiques et placés sur le banc des accusés.