L'Association vigilance pour la démocratie et l'Etat civil a consacré samedi dernier son quatrième « Cercle de la liberté d'expression » — des débats mensuels autour des médias dans une situation de transition— aux « talk-shows politiques radiophoniques et télévisés ». Programmes de débats autour de thèmes d'actualité politique, les talk-shows favorisent l'information-spectacle et la polémique « Les talk-shows » est un sujet d'actualité en Tunisie depuis le 14 janvier où chaque chaîne radio et TV a vu fleurir ses débats autour de l'actualité politique dans une ambiance de polémique et parfois de foire d'empoigne. La Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle (Haica) semble impuissante devant un flot de programmes qui privilégient la fabrication du bruit, dans une ambiance de haine et de violence verbale parfois, sur la construction des opinions et des idées. Trois invités de l'Association vigilance, deux académiciens et un journaliste-chroniqueur ont tenté de définir les talk-shows, d'expliquer leurs enjeux économiques et politiques, leur apport au récepteur et la culture qu'ils ancrent dans la société. « Ce n'est pas un genre journalistique » Professeur à l'Institut de presse et des sciences de l'information et auteur de plusieurs articles et ouvrages sur les médias en Tunisie, Larbi Chouikha a démontré dans son intervention que les talk-shows étaient une manière de faire adaptée à la radio et à la télévision et « nullement un genre journalistique », a-t-il insisté. Larbi Chouikha définit ainsi les talk-shows : « Il s'agit d'un débat contradictoire entre des participants qui ont des points de vue divergents dirigé par un journaliste chevronné plutôt strict sur la répartition du temps de parole». Apparus aux Etats-Unis depuis les années 50, puis se propageant en France dans les années 60 et surtout 80, les émissions de débat font un tabac sur Al Jazeera dans les années 90, notamment avec l'émission « Al Ittijih Al Mouakas » (Le sens contraire). Le Professeur Chouikha critique le rendu des talk-shows : « Focalisés sur le buzz, ils cachent une faiblesse de la culture générale des journalistes-animateurs, qui sont de leur côté livrés à eux-mêmes et à la volonté de leurs patrons, en l'absence de structures rédactionnelles encadrant leur travail comme la conférence de rédaction, le conseil de rédaction et une charte rédactionnelle propre à leur média ». Combats de coqs Journaliste-chroniqueur à radio Mosaïque FM, Haytham El Mekki a pris part a beaucoup de talk-shows télévisés, sur Nessma, Al Hiwar Ettounisi, Telvza TV. Il a vu se fabriquer de l'intérieur des émissions généralement offrant un excellent rapport qualité-prix aux chaînes : un journaliste, un producteur, un régisseur, une table, des chaises, des invités en roue libre, pas beaucoup de reportages à préparer et un public fidèle. Il a refusé de prendre part à des émissions où la recherche de l'audience est le seul critère de choix des invités. « Que peut donner un débat où on mettrait Abir Moussi face à Adel Al Elmi sinon à un combat de coqs ? Un dialogue de sourds ? Quel intérêt informatif en tirerait le public ? », s'interroge Haytham El Mekki. « Mes reproches vont vers le public qui plébiscite ces émissions. Et s'il les zappait une fois pour toutes ? », ajoute le chroniqueur avec son éternelle insolence. Construire l'ennemi L'académicienne Amel Grami, spécialiste de l'histoire des femmes et islamologue, a fait, en tant qu'experte, le tour des talk-shows du monde arabe : de la Tunisie au Qatar en passant par la Jordanie, le Maroc, l'Egypte et le Liban. Elle tente dans son intervention une étude sémiologique de ce genre « que l'on tarde à mettre sous la loupe des chercheurs chez nous », fait-elle remarquer. « Toute la performance est construite autour de la notion d'adversité. Les invités sont disposés comme dans une arène, dans une posture de combat. On n'en sort jamais avec une opinion nuancée, claire, mesurée. Au contraire, ces émissions qui s'appuient sur des paradigmes guerriers participent à construire l'ennemi », critique Amel Grami. Pour l'académicienne, les talk-shows démontrent à quel point l'école ne sait pas former les gens à l'art de l'argumentation sereine et équilibrée. Ils recyclent également la médiocrité. Puisque les petites phrases des invités sont reprises par les réseaux sociaux et en fin de parcours circuleront dans les conversations quotidiennes des citoyens. Sans vérification, ni mise en perspective, le discours des protagonistes des talk-shows est pris tel quel. Cette information brute devient même une parole quasi sacrée pour une partie des récepteurs, puisque relayée par la petite lucarne. Les talk-shows politiques recyclent ainsi la désinformation. « Un danger pour une démocratie représentative comme celle à laquelle s'oriente la Tunisie post - 14 janvier », ont fait remarquer plusieurs participants au débat de samedi dernier.