L'affaire de l'organisation secrète d'Ennahdha a été portée devant le tribunal militaire lundi 22 octobre 2018. Cette affaire révélée par le comité de défense de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi a ébranlé l'opinion publique compte tenu des détails qu'elle comporte. Ennahdha, premier mis en cause, a tardé à réagir mais sa réaction n'a pas été à la hauteur des révélations faites. Une chose est sûre, cette affaire a plus que jamais ébranlé le parti islamiste dont la cote n'est pas au beau fixe.
« Certaines personnes ne veulent pas le bien de la Tunisie et veulent noyer le pays dans un bain de sang », a déclaré Rached Ghannouchi hier, samedi 27 octobre 2018, lors de la deuxième conférence des cadres du mouvement islamiste. Réagissant aux accusations portées contre le mouvement, le chef d'Ennahdha avait déclaré que « depuis sa réunion de 1995, Ennahdha a décidé de laisser tomber son appareil secret pour se révéler au grand jour, en étant un parti civil pacifique qui œuvre avec l'opposition ». Ghannouchi a aussi assuré que le Tribunal administratif a annulé plusieurs sentences prononcées contre le mouvement entre 1987 et 2010.
Le 22 octobre, le comité de défense de Belaïd Et Brahmi a eu du mal à déposer sa plainte formulée contre la supposée organisation secrète d'Ennahdha, au tribunal militaire. Il aura fallu l'intervention des médias, de l'Association des Jeunes Avocats, du bureau régional de l'ordre des avocats, et de quelques députés, pour que la plainte déposée auprès du tribunal militaire permanent de première instance de Tunis, soit reçue et enregistrée. En effet, le président du tribunal a préféré consulter le ministère public, demandant aux avocats d'attendre, pour les informer, une heure plus tard, du refus de l'enregistrement de la plainte». Un sit-in a été tenu au siège du tribunal et le procureur de la République a décidé de faire volte-face et permettre le dépôt légal du dossier contre l'organisation secrète d'Ennahdha. Mais il semblerait que ce ne soit pas l'unique pression subie par le comité de défense depuis ses révélations lors de la conférence de presse du 2 octobre. Vendredi, un communiqué a été publié alertant contre « des pressions croissantes en train d'être exercées par des dirigeants sécuritaires et politiques proches d'Ennahdha pour l'ouverture de la chambre noire, l'altération de son contenu et la destruction des documents qui s'y trouvent ». Le comité de défense pointe du doigt une tentative de «destruction des preuves contenues dans la chambre noire » et ce afin de « cacher l'existence de cet appareil secret ». Selon le comité de défense, le parti de Rached Ghannouchi exercerait même des pressions sur certains responsables sécuritaires afin de les dissuader de livrer des témoignages qui pourraient incriminer Ennahdha. Mais quid de l'existence de cette chambre noire ? Le comité de défense affirme que des documents ont été archivés depuis 2015 dans une chambre noire et qu'ils contiendraient des données sur les assassinats des deux figures politiques Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, assassinés respectivement en février et juillet 2013 et dont les assassinats n'ont pas encore été élucidés. Des documents « si importants qu'ils pourraient à eux seuls incriminer pénalement Ennahdha ». De son côté, le ministère de l'Intérieur, par le biais de son porte-parole Sofiène Zaâg, dément l'existence même de cette chambre telle que décrite par le comité de défense.
Ces accusations ont fait sortir le parti islamiste de ses gonds. Hier, le dirigeant d'Ennahdha, Ali Laârayedh s'est emporté contre les attaques portées contre le mouvement qui dénoteraient, selon lui, d'un « état d'hystérie, de mensonges sans précédent et de tromperies sans limites » et qui peuvent être considérées comme « un crime contre la patrie ». Ali Laârayedh s'est insurgé affirmant que l'unique but des membres du comité de défense est « d'exercer des pressions sur les responsables et sur le pouvoir judiciaire ainsi qu'à mettre en doute chaque institution. Ils veulent être les juges, les avocats et les hommes de médias. Je leur dis mentez ! Mentez jusqu'à ce que vous croyiez vos mensonges !».
Alors que le comité de défense Belaïd-Brahmi multiplie les déclarations et affirme détenir des preuves, les réactions d'Ennahdha peinent à convaincre. A l'heure actuelle, l'affaire est entre les mains de la justice qui devra faire preuve de l'impartialité nécessaire pour en révéler le vrai du faux. Cependant, le parti islamiste continue sa fuite en avant. Son communiqué publié à la suite de la réunion du majliss Choura va par ailleurs dans ce sens. Le 6 octobre, le parti avait tenu une réunion exceptionnelle de son conseil de la Choura, à l'issue de laquelle il s'était contenté de dénoncer « les tentatives de certaines parties extrémistes à polluer le climat national » tout en rejetant toutes les accusations en bloc estimant qu'il s'agit d'une « tentative désespérée de porter atteinte au parti et aux institutions de l'Etat ». En effet, Ennahdha a choisi de ne pas commenter les déclarations faites à son encontre. A défaut de preuves et d'arguments, le parti réagit par les insultes proférées contre ses détracteurs. Est-ce que cette organisation secrète existe réellement ? Est-ce qu'il s'agit d'un appreil « officiel » au sein du parti obéissant aux ordres de la direction, ou est-ce un appareil « clandestin » régi par les voix dissidentes au sein du mouvement islamiste ?
Le passé d'Ennahdha a toujours été ponctué d'événements troubles, dont les événéments de 1987. La supposée existence d'une organisation secrète parallèle à l'appareil de l'Etat n'a pas surpris l'opinion publique mais a cependant servi à raviver de vieux démons. Des démons qu'Ennahdha pensait bien enfouis pendant des années et contre lesquels elle cherche à se battre aujourd'hui. Il est important aujourd'hui que justice soit faite car ce genre d'accusations, peu importe leur degré de vérité, ne fera qu'envenimer davantage le climat politique. Une donnée sur laquelle Ennahdha table afin de tenter de faire taire les voix accusatrices.