La convention de production de sel conclue depuis 1949 avec la Compagnie générale des salines de Tunisie (Cotusal) et permettant à la France d'exploiter le sel tunisien avec un prix symbolique avait fait l'objet d'une vive polémique où plusieurs voix se sont élevées dont celles d'un nombre de députés au Parlement. Des députés qui ont appelé, quand cette convention a été résiliée, à reconnaître leur rôle et leur contribution dans l'affaire. La convention avec la Cotusal était mise en place depuis le 5 octobre 1949 pour une durée de 50 ans et a été automatiquement renouvelée, à deux reprises en 1999 ainsi qu'en 2014, pour une période de 15 ans si la production annuelle dépasse 250 mille tonnes. La production étant estimée à 2 millions de tonnes par an dont 100 mille sont destinés à la consommation nationale et le reste est exporté à l'étranger. La convention se termine légalement le 5 octobre 2029 et assure la possibilité de la résilier avant une période minimale de 10 ans avant que la prolongation actuelle ne prenne fin.
Le chef du gouvernement, Youssef Chahed a décidé de ne pas proroger la concession d'exploitation du domaine public maritime de la Cotusal et a communiqué, par la suite, cette décision au représentant légal de la société tout en respectant le délai légal de l'avis de résiliation. « Ma seule boussole est l'intérêt suprême du pays qui est au-dessus de toutes les considérations », telle était la déclaration du chef du gouvernement aujourd'hui aux médias réfutant toute éventuelle pression qui aurait pu être exercée sur lui dans cette affaire. La décision a également été prise « loin de tout populisme », a-t-il dit, soulignant son engagement à résilier tous les contrats non conformes aux conditions légales.
Le porte-parole du gouvernement, Iyed Dahmani est revenu, d'ailleurs sur la résiliation de cette convention relevant que les conditions de son cadre juridique sont injustes et que c'est cette injustice qui a incité le chef du gouvernement, Youssef Chahed à prendre cette décision. M. Dahmani a souligné que cette décision a été prise sans aucune pression et que cela émanait de la conviction du gouvernement de l'inutilité du maintien de cette convention. Et d'ajouter que la décision du chef du gouvernement était « sage » et avait pour objectif d'instaurer la bonne gestion des salines.
Si la convention avait auparavant déclenché une polémique où la société civile ainsi que certains organismes à l'instar de l'Instance Vérité et Dignité (IVD) avaient affirmé que la Cotusal exploite les ressources naturelles de la Tunisie en bénéficiant des avantages qui remontent aux années 50, c'est au tour des députés, à présent, de revenir sur cette décision de résiliation. En effet, le député et secrétaire général du Courant démocratique (Attayar), Ghazi Chaouachi a rappelé que son parti avait envoyé un procès-verbal au gouvernement, l'invitant à entamer les procédures nécessaires pour mettre fin à cet accord vu que le prix n'a pas été modifié depuis la conclusion de l'accord sachant que la Cotusal loue plus de 3000 hectares à 1 franc l'hectare. M. Chaouachi a, en outre, indiqué que la société n'a pas payé des impôts évalués à 5,7 MD pour la période 2007-2012 et qu'elle est, de surcroît, suspectée d'évasion fiscale. Du côté d'Ennahdha, Ameur Laârayedh, président de la commission parlementaire chargée de l'énergie et des richesses naturelles, a dénoncé l'occultation de sa participation dans la décision de la non-reconduction de la convention avec la Cotusal. Il a, ainsi, affirmé que c'était lui qui a annoncé l'ouverture du dossier de la Cotusal lors d'une séance plénière et que c'est sa commission qui a demandé au gouvernement d'informer la société de la non-prorogation de la convention avant le 3 octobre 2019. C'est aussi cette commission qui a exhorté le gouvernement à préparer un nouveau cahier des charges qui assurerait les intérêts de la Tunisie aux niveaux économique, fiscal et environnemental. « Nous travaillons alors que d'autres sont malheureusement spécialisés dans l'instrumentalisation et la surenchère », s'est-il indigné dans un post publié sur sa page Facebook hier.
Sahbi Ben Fredj, député du bloc parlementaire de la Coalition nationale et membre de Tahya Tounes s'est, néanmoins, félicité, de « l'audace » du chef du gouvernement disant que les détracteurs de cette décision visaient à user de cette affaire comme moyen de surenchère politique. Il a, aussi, appelé à ce que ce type de mesure soit généralisé sur tous les secteurs où il y aurait un pillage des ressources naturelles. Une position partagée par Chafik Ayadi, député du Front populaire qui a valorisé le rôle du pouvoir législatif dans la concrétisation de cette décision.
Quant à la Coalition tunisienne pour la transparence dans l'énergie et les mines (CTTEM) réunissant 13 associations actives dans le domaine de la gouvernance des richesses naturelles, elle a jugé que la résiliation de la convention est une bonne chose d'autant plus qu'elle a engendré des pertes financières pour l'Etat au fil des années. La CTTEM a, par ailleurs, appelé à l'ouverture d'une enquête sérieuse et indépendante et à tenir tous les acteurs impliqués dans le maintien de cette convention pour responsables. Elle a relevé, de ce fait, l'impact négatif de l'impunité en ce qui concerne les affaires de corruption sur la lutte acharnée contre la corruption.
Cependant, la décision de Youssef Chahed de résilier la convention avec la Cotusal n'a pas été favorablement accueillie à l'unanimité. L'activiste Naziha Rejiba, parmi d'autres actifs sur les réseaux sociaux, a jugé que cette décision fait partie des préparatifs de la campagne électorale de Chahed et marque le début d'une seconde campagne d'instrumentalisation de l'appareil de l'Etat étant donné que la décision sera mise en application dans 10 ans. Le président de l'Institut tunisien des études stratégiques (Ites) et dirigeant de Nidaa Tounes, Néji Jalloul a, pour sa part, qualifié cette mesure de « populiste » ajoutant que la vraie solution réside dans la négociation des prix du sel et dans l'instauration des standards pour l'exploitation de cette richesse au lieu de ne pas proroger la convention.
Quoiqu'il en soit, la non-prolongation de la convention conclue avec la Cotusal représente une première étape dans la reprise des richesses naturelles nationales. Qu'il s'agisse d'une manœuvre politique et électorale ou d'une preuve d'audace et d'appui à la souveraineté du pays, nul ne peut contester que la décision de Youssef Chahed ouvrira la porte devant l'examen des dossiers des richesses pillées et des contrats établis depuis l'occupation française de la Tunisie.