La campagne de propreté et d'embellissement des villes, lancée il y a quelques jours sur tout le territoire tunisien, a suscité un grand engouement sur les réseaux sociaux. En peu de temps, de nombreux Tunisiens de tous âges se sont joints au mouvement pour nettoyer et embellir leurs quartiers. Une campagne aux nobles motivations, mais dont les manifestations ne sont pas toutes vues d'un bon œil… Si embellir les quartiers et nettoyer les rues est incontestablement une action noble et dénotant d'un grand sens civique, détériorer les monuments et toucher au patrimoine architectural du pays l'est, en revanche, beaucoup moins. Et c'est justement ce dernier aspect qui a été vivement dénoncé par le ministère des Affaires culturelles et l'Institut national du patrimoine (INP) dans un communiqué publié ce vendredi 18 octobre 2019. Le département a en effet indiqué que les appels lancés sur les réseaux sociaux [à peindre les monuments nationaux] « constituent un empiétement et une défiguration flagrante du patrimoine national qui sont interdits par le Code du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels». L'Association de sauvegarde de la Médina de Tunis (ASM) a, quant à elle, lancé un cri d'alarme dénonçant « des initiatives mal orientées » même si elles ont pour vocation de « rendre la médina plus belle et plus propre ». « Certes, il ne faut pas oublier que la Médina de Tunis est classée dans la liste du Patrimoine mondial de l'Humanité et que toute opération urbaine doit être bien étudiée afin d'obtenir de bons résultats. Certes ses pavés noirs sont une des originalités de nos ruelles que nous nous devons de sauvegarder. Soyons vigilants et créatifs pour garder le cachet de notre chère Médina », lit-on aussi dans son communiqué publié aujourd'hui.
Des pavés noirs de la Médina de Tunis, issus de gisements de pierres d'origine volcanique de la région de Nefza, ont été tout bonnement peints par des citoyens avec des couleurs criardes : rouge, jaune, bleu, vert et oranger. « Une violation claire du patrimoine culturel tunisien, voire même du mauvais gout artistique », ont déploré de nombreux Tunisiens.
Mais cette campagne ne s'est pas arrêtée aux pavés de la Médina. Des arbres, trottoirs, murs etc. ont aussi eu droit à un coup de peinture donnant naissance à une mosaïque géante, en blanc, rouge, jaune, bleu ciel et vert.
L'euphorie générale constatée depuis quelques jours et les grands mouvements de mobilisation observés sur la toile ont fait que certains citoyens n'ont pas hésité à voir les choses en grand. Des internautes se sont même amusés à imager les grands monuments nationaux - tels que l'amphithéâtre d'El Jem - peints de plusieurs couleurs. Des photos « artistiques » ont d'ailleurs été massivement partagées sur les réseaux sociaux. Entre enthousiasme et scepticisme, des Tunisiens ont partagé des photos de ces réalisations en mêlant l'humour à une certaine inquiétude de voir les monuments nationaux défigurés par l'emballement citoyen. La photo qui a le plus marqué les esprits des internautes est celle d'une Tunisie vue de l'espace en forme de pavés peints de ces fameuses couleurs.
Face à ces dégâts, l'Institut national du patrimoine a entamé des travaux de restauration sur certains monuments du patrimoine tunisien. Des équipes sont intervenues ce vendredi 18 octobre 2019 pour débarasser les pavés de la rue El Kasbah à la Médina de Tunis de ses nouvelles couleurs.
Au-delà du débordement, force est de reconnaitre que l'emballement général émane d'une volonté de bien faire. Un élan citoyen poussé par une jeunesse qui nourrit l'espoir de participer et de faire bouger les choses. Ces jeunes souhaitent, en effet, se réapproprier leur cadre de vie en le transformant en un espace plus agréable et plus propice à l'espoir. Ce mouvement s'oppose à celui des générations antérieures, qui ont longtemps considéré le mobilier urbain et les biens publics comme « n'appartenant à personne en particulier » et donc « ne méritant aucun soin ». L'euphorie générale et les mouvements citoyens, naissant en grand nombre sur la toile ces derniers jours, gagneraient à être encadrés et non réprimés afin qu'ils puissent s'épanouir dans le bon sens…et ne pas tomber entre des mains malintentionnées….