On croyait Kaïs Saïed malade et voilà qu'il est en pleine forme. Assigné à résidence et condamné à un repos forcé de 4 jours pour état de santé fragile – nous souhaitons au chef de l'Etat prompt rétablissement – voilà que Kaïs Saïed trouve l'énergie nécessaire pour pondre un communiqué incendiaire contre l'un de ses ambassadeurs. Moncef Baâti, représentant permanent de la Tunisie auprès de l'Organisation des Nations Unies, a eu le grand honneur de faire sortir de ses gonds – mais aussi de son lit – Kaïs Saïed. Un communiqué flanqué du sceau de Carthage – mais aussi du sceau de la honte – a été publié hier soir de manière tonitruante. Non pas sur l'organe de communication officiel et habituel de la présidence – autrement dit sa page Facebook – mais auprès de l'agence de presse officielle la Tap. Pourquoi ? On n'en sait fichtre rien et s'essayer à hasarder une réponse serait inutile vu le caractère impulsif et irréfléchi du chef de l'Etat.
Les éléments de langage utilisés dans ce communiqué feraient hérisser le poil de n'importe quel novice en communication. Carthage, qui depuis quelques mois ressemble plus à une organisation militante déchaînée qu'à une institution de souveraineté engageant tout un pays, utilise des termes menaçants, complotistes et revanchards. « L'histoire ne manquera pas de dénoncer ceux qui persistent dans la calomnie et le dénigrement » ; « la Tunisie n'a cédé ni aux marchandages, ni aux pressions » peut-on retrouver dans ce communiqué surréaliste. On y dénonce, par ailleurs, des tentatives de « vouloir porter atteinte à la Tunisie, et à son président en particulier, qui s'est toujours rangé du côté de la cause palestinienne » mais aussi « la supplication d'un certain nombre de capitales étrangères en faveur de ce qu'on a qualifié injustement de "Deal" ».
Un fonctionnaire de l'Etat, dont les compétences et les connaissances sont indéniables dans son milieu, est aujourd'hui accusé par la présidence d'être à la solde d'Israël, de chercher refuge auprès de pays étrangers et de prendre des décisions unilatérales qui engagent le pays. Alors qu'on reproche à Moncef Baâti « une absence de coordination et de concertations avec la présidence», on oublie que la même présidence s'est, très récemment, séparée de son ministre conseiller chargé de la diplomatie. Abderraouf Betbaieb, livré lui aussi sur la place publique par Carthage, accuse l'unique chargée de la communication, et donc la principale responsable du cafouillage du chef de l'Etat, Rachida Ennaifer, de propager des intox et de manipuler l'opinion publique. La même Rachida Ennaifer qui sort dans les médias pour accuser Moncef Baâti de « faute diplomatique grave ». De quoi perdre la tête !
On en viendrait presque à regretter Moncef Marzouki. Si l'ancien chef de l'Etat était connu pour son comportement irréfléchi et impulsif, le nouveau locataire de Carthage lui vole la vedette haut la main. Par qui exactement a été rédigé ce communiqué ? Est-ce qu'il existe un service de communication digne de ce nom à Carthage ? Et, si tel est le cas, par quel comble d'amateurisme et de – stupidité – se permet-on de telles balivernes et implique-t-on un Etat tout entier dans pareils règlements de comptes ?
Très peu de politiques sont visiblement de cet avis. Rares sont les voix qui se sont élevées pour condamner. Tout d'abord toute l'affaire en elle-même, le fait qu'un ambassadeur, un fonctionnaire de l'Etat, un représentant de la Tunisie à l'étranger, soit publiquement trainé dans la boue sans le moindre ménagement. Mais aussi le communiqué invraisemblable de la présidence de la République qui ressemble à tout sauf à un communiqué de la présidence de la République. Hormis Mabrouk Korchid qui a affirmé que « la guerre médiatique et diplomatique est indigne du pays » et Mohsen Marzouk qui estime que « la diplomatie se gère avec plus de retenue », on n'a rien entendu…
De son côté, le chef de l'Etat n'a que faire de ces rudiments diplomatiques. Il est trop embourbé à prouver qu'il est le candidat « antisystème » qu'on a élu et qui a fait fantasmer près de trois millions de Tunisiens. Lui-même affaibli et alité, Kaïs Saïed n'hésite pas à sortir de sa torpeur pour affaiblir un Etat dont il a la charge. Kaïs Saïed prouvera qu'il n'aura été qu'une chimère fabriquée de toutes pièces par ceux qui l'ont propulsé dans ce poste, incontestablement trop grand pour lui. Et il le prouvera plus rapidement que ce qu'on pensait…