Maintenant qu'on a un président de la République largement élu, un gouvernement opérationnel, même si sa confection a été des plus laborieuses, il est vraiment temps de se pencher sur le cas ARP et de penser sérieusement à doter le pays d'un Parlement, un vrai. Depuis vendredi dernier, après une séance parlementaire marathonienne de quinze heures, le pays s'est doté finalement d'un gouvernement qui aura la lourde tâche de traiter une multitude de dossiers tous plus urgents et plus brulants les uns que les autres. Pour ce faire, il nous a fallu attendre quatre longs mois de tergiversations, de tractations et de négociations entre des partis politiques que peu de choses éloignent sur le fond mais que tout sépare, à commencer par leur égoïsme et la compétition puérile entre leurs dirigeants. Pour ce faire surtout, il nous a fallu supporter ce spectacle interminable d'incongruité, d'impudence et de grossièreté de la part de députés, tous bords confondus, qui rivalisaient d'incivilité et jouaient à qui ferait le plus mal aux ministres proposés assis impuissants devant eux et à qui s'illustrait le plus dans cette course pour la palme de l'impolitesse.
Dire qui a finalement gagné dans ce jeu cynique et sinistre est hasardeux et difficile tant les prétendants étaient nombreux et la compétition serrée. Ce qui est sûr par contre, c'est que le pays tout entier en est sorti perdant et meurtri. La jeune démocratie tunisienne en est sortie, pour sa part, défigurée et chancelante. Le plus grave dans cela, c'est que la goujaterie semble devenir la règle dans les rapports sous l'hémicycle du Bardo. Avant Elyes Fakhfakh et les membres de son gouvernement, Habib Jamli et les membres de son équipe avaient connu la même expérience traumatisante avant d'être éconduits. Pourtant, sous d'autres cieux, le Parlement est, par excellence, le lieu de la bienséance, de la courtoisie et du raffinement. Les élus ne sont-ils pas les dignes représentants de leurs concitoyens et la crème de leur société ? Bien entendu, des dérapages et des dépassements peuvent survenir. Ils peuvent même prendre des formes extrêmes d'agressivité surtout dans les pays asiatiques ou de l'Europe de l'Est. Mais cela reste exceptionnel et rare.
Aujourd'hui, il est nécessaire de remédier d'urgence à cette situation dégradante pour notre pays et qui handicape le travail des institutions. La refonte de la loi électorale semble être la solution adéquate, à condition qu'elle soit profonde, longuement réfléchie et émanant d'un grand débat public. Les tentatives de révision de la loi électorale présentées dernièrement, dans la précipitation, par le parti islamiste Ennahdha concernant l'instauration d'un seuil de cinq pour cent, ainsi que par le gouvernement Chahed, quelques mois avant les dernières élections législatives et la présidentielle, n'entrent pas dans ce cadre de réflexion. Elles sont justes des petites manœuvres qui ne touchent pas le fond du problème et qui visent l'élimination des concurrents indésirables sans plus. La véritable réforme doit toucher le mode de scrutin, les conditions d'éligibilité, le mode de financement des partis politiques, la publicité politique, le rôle de l'Isie et l'élargissement de ses prérogatives. Elle doit être discutée et votée au plus tard avant la fin de 2021 pour être en vigueur, suffisamment à l'avance, lors des élections législatives et présidentielle de 2024.
Dans l'immédiat, il est impératif de réviser le règlement intérieur du Parlement actuel pour instaurer plus de discipline et prévoir des mesures sévères contre l'absentéisme et les écarts de comportement ou de langage. La pénalisation des fautifs doit être suffisamment lourde et publique pour être décourageante. Cela est un palliatif nécessaire même s'il ne sera pas suffisant avec la composition actuelle du Parlement.