Par Abdelhamid Gmati On ne peut pas dire qu'on s'ennuie ces temps-ci. Chaque jour nous amène son lot de déclarations, de nouvelles, certaine bonnes, d'autres moins bonnes ou inquiétantes, d'autres encore, relevant de l'incongruité (grossièreté, manque de goût, inconvenance, indécence...). Parmi les bonnes (si, si, il y en a), citons : le taux d'inflation a reculé de 0,1% durant le mois de mai et les prix des matières alimentaires ont également reculé de 0,4%, les viandes et les volailles ont accusé une baisse de 0,4%, les légumes de 2,7%, l'huile de 0,3% et les œufs de 3,8%. Ce qui veut dire que la vie est moins chère. Les investissements directs étrangers ont augmenté de 42,8% au mois de mai, 62 nouvelles entreprises sont en production, et 115 opérations d'extension ont eu lieu, ce qui a créé 6.125 nouveaux emplois. Des campagnes sécuritaires ont été lancées dans toute la République, aboutissant à l'arrestation (entre le 17 mai et le 16 juin 2012) de 5.685 personnes recherchées. La revue américaine Foreign Policy a estimé, dans son dernier rapport annuel, que la Tunisie est le pays le plus stable au Maghreb. Du côté des incongruités, on a le choix : - Le texte du préambule de la nouvelle Constitution sera prêt à la fin du mois de juillet. Et on apprend que les constituants ont discuté de la devise inscrite sur les armoiries de la Tunisie. On sait que cette devise, établie avec les armoiries le 21 juin 1956, est « Liberté, Ordre, Justice » et faisait l'unanimité. Il s'avère que certains dans la commission du préambule, veulent y ajouter « la dignité ». La devise deviendrait alors « Liberté, Dignité, Justice, Ordre ». Ces constituants ne savent-ils pas que lorsqu'il y a la liberté, la justice et l'ordre, la dignité et toutes les autres valeurs humaines sont garanties ? Alors pourquoi vouloir changer un texte admis unanimement et jamais remis en question? Pour se distinguer et justifier leurs salaires faramineux ? S'ils veulent faire l'Histoire, ils feraient mieux de proposer une Constitution qui garantisse l'application stricte des valeurs contenues dans la devise. Ils feraient mieux de ne pas oublier que le drapeau national, l'hymne national, la devise nationale et les armoiries sont intouchables et qu'ils n'ont pas été élus pour cela. - Encore les constituants : certains d'entre eux veulent faire adopter une loi pénalisant les «atteintes au sacré». D'abord qu'entendent-ils par «sacré». Ensuite, il existe des lois qui punissent le blasphème, les atteintes à la religion, aux croyances, au chef de l'Etat, aux symboles de la République, etc. Ensuite, on n'a jamais relevé en Tunisie ce genre de déviance. Ces pseudo-« atteintes au sacré » n'ont émergé que depuis que les islamistes sont au pouvoir. Enfin, il a été démontré, après coup, qu'il s'agissait de coups montés ou d'interprétations erronées d'œuvres d'art. Alors pourquoi ? Va-t-on inclure les critiques aux salafistes et au gouvernement dans le « sacré » ? - Le Festival de Carthage aura bien lieu avec toutefois une révision de la programmation : 4 nouvelles soirées tunisiennes seront ajoutées et d'autres spectacles tunisiens seront programmés à l'espace El Abdellia et au Musée de Carthage. Ce remaniement a eu lieu à la suite de la menace de boycott brandie par les musiciens et une réunion avec toutes les parties concernées. Cela veut dire que le ministre sait revenir sur ses décisions et être à l'écoute des artistes. Pourquoi n'avoir pas consulté et écouté avant ? Cela aurait évité une semaine de confusion et de tensions. - Le directeur du cabinet présidentiel vient de déclarer que l'ancien Premier ministre libyen ne sera extradé que lorsque le président de la République aura signé les documents requis. Il y a quelques jours, le Premier ministre affirmait que l'extradition aura lieu avec ou sans la signature du président. A-t-on besoin de commenter ? Cela veut dire que nous sommes bien gouvernés par des personnes adultes et responsables. - Onze personnes apparentées au courant salafiste ont été arrêtées suite aux violences à Jendouba, puis elles ont été relâchées par le juge d'instruction près le Tribunal de première instance de Jendouba. Pourtant, elles ont été prises en flagrant délit et en possession d'armes. Deux personnes seulement parmi les treize arrêtées ont été maintenues en détention. Cela a déclenché une vague de protestations de la part des agents de l'ordre (qui ont menacé de présenter une démission collective) et de la population. Le procureur général de la Cour d'appel du Kef a alors émis un mandat de dépôt concernant les 11 libérés pour «d'autres délits». Cafouillage? D'autant qu'une situation similaire a eu lieu à Sousse. - Nos trois « présidents » ont assisté à l'inauguration du nouveau car-ferry « Tanit ». Dans leurs déclarations, ils ont parlé «d'acquis de la période de transition». Indécent : comment s'approprier des réalisations (avec l'électrification des trains de banlieue), conçues et financées du temps de l'ex-régime dictatorial ? - Nos émigrés pourront désormais importer des voitures touristiques plus vieilles ( 5 ans). Cela va vieillir notre parc automobile avec les coûts énormes que cela va engendrer. Il est des décisions populistes et électoralistes aux effets nocifs sur l'économie du pays. - Notre président de la République a effectué une visite de deux jours dans le gouvernorat de Gafsa où il s'est adressé à plusieurs reprises (avec quelques remous dans certaines localités) à la population. On retiendra l'une de ses interventions où il a invité les présents à «éteindre leurs portables et à arriver à l'heure». Fort bonne remarque. Mais il a ajouté: «Que feriez-vous dans une mosquée». Voici donc notre président se comparant à un imam. On le constate, hélas : les incongruités (dont nous n'avons évoqué que quelques-unes) sont de plus en plus nombreuses, s'ajoutant aux nouvelles mœurs qui ont de plus en plus cours. Certaines prêtent à rire ; d'autres sont plus sérieuses et même inquiétantes. On ne peut tout mettre sur le compte de la révolution (qui change certaines données), du manque d'expérience ou de l'incompétence. La révolution a ouvert une large voie aux espoirs. Jusqu'ici, on ne voit rien se concrétiser et on risque de perdre espoir.