Par Hatem KAROUI (conseiller en exportation) En ces temps où la Révolution du Jasmin est de mise, il est indubitable que le secteur de l'exportation doit tirer son épingle du jeu. En effet, la disparition de la langue de bois, la libération des différents modes d'expression doit pouvoir permettre à nos exportateurs de trouver de nouveaux arguments pour mieux se positionner sur le marché international. Cela veut-il dire que, jusqu'à présent, ils ne pouvaient pas s'exprimer sur leurs problèmes avec suffisamment de liberté ? Pas nécessairement mais la question mérite d'être posée…. Pour y répondre, il faut essayer de comprendre de quelle manière un malaise pouvait être ressenti par nos opérateurs économiques au niveau de la communication sur leur métier. L'une des clés de la satisfaction de cette requête est certainement de savoir si des aires de réflexion existent où les exportateurs peuvent se réunir pour débattre des stratégies d'accès aux marchés extérieurs et pour analyser globalement leur situation. Ces aires peuvent se traduire bien sûr par un lieu physique où ils puissent converger pour discuter, mais ils sont également représentés par les forums que l'on trouve dans les journaux spécialisés. Il faut en effet savoir que nous sommes confrontés à un monde de plus en plus rapide où ne peuvent vendre que ceux qui accèdent avec célérité à l'information commerciale et on peut penser que ce qui intéresse le plus l'exportateur, c'est l'adresse du client qu'il peut trouver dans les bases de données informatisées. On peut également imaginer que l'état des statistiques de ventes, la réglementation douanière et environnementale sont des domaines où le vendeur à l'international concentre ses recherches…Mais en fait, cela peut ne pas être suffisant ! Les institutions publiques d'encadrement des exportateurs comme les chambres de commerce, le patronat ou le Cepex remplissent leurs supports écrits et électroniques et leurs sites Internet d'informations pratiques destinées à l'exportateur pour l'informer de quelle manière il peut financer ses ventes ou participer à une manifestation commerciale internationale mais il y a toujours quelque chose qui manque…Et ce manque, c'est la profondeur stratégique du positionnement de l'opérateur économique. Ce dernier a des états d'âme. Malgré tous ses efforts, il n'arrive pas à convaincre son client pour lui vendre son produit ou son service bien qu'il remplisse a priori toutes les conditions techniques pour être accepté…Et là, personne ne peut lui répondre pourquoi son produit ne trouve pas acquéreur. Et pourtant, il existe une cause qui se retrouve dans le type de rapports qu'entretiennent les autorités publiques avec l'opérateur privé. Parlons des séminaires : Jusqu'à présent une volonté politique veut que l'exportateur se sente l'obligé de l'Etat. Pour cela, on commence à le gaver des mesures présidentielles incitatives prises pour dynamiser les exportations. Le panel est rempli d'experts qui pendant des heures cherchent à le convaincre que tout a été fait pour que, désormais, il puisse se remplir les poches…Mais on n'attend pas de réponse de lui. Juste quand le forum est sur le point de se terminer, on propose à l'auditoire de poser deux ou trois questions, puis on l'informe qu'on n'a plus le temps que le ministre untel va arriver incessamment pour la clôture. On lit au pied levé les recommandations dont la majorité a été préparée d'avance et tout le monde se lève avec un sentiment d'inachevé compensé par les petits gâteaux et boissons fraîches que l'on distribue pendant la réception où l'on parle de banalités. Et les journaux ? Parlent-ils d'exportation ? On pense qu'il s'agit de sujets trop techniques et rébarbatifs qui n'intéressent pas le lecteur, on préfère parler de sport et principalement de football. Si on veut accéder aux informations relatives à l'export, il suffit de se rabattre sur les revues spécialisées…Et pourtant, existent-elles ? Sur le marché tunisien, il existe quelques revues économiques adoubées par le pouvoir où le langage laudateur proféré par les thuriféraires et les zélateurs abonde. Ce qui intéresse le patron de la revue, c'est la collecte des revenus issus des annonces publicitaires des entreprises publiques que l'Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE) distribue en fonction de l'affirmation des gages de fidélité au régime en place…Pas un mot de trop pour critiquer, sinon les ciseaux de la censure tombent de manière bien originale, non pas en interdisant la vente du journal, mais en le privant de sources financières nécessaires à sa survie. Quant aux revenus de la publicité collectés avec la contribution du secteur privé, elles sont recueillies selon le mot d'ordre donné par l'Etat-Parti sinon ce sont les enquêtes fiscales qui pleuvent…Les organisations internationales, les bureaux régionaux internationaux et les fondations sont elles-mêmes prévenues de manière discrète : tel patron est bien vu et tel autre ne l'est pas, et de toutes façons, le langage de la revue doit être conforme avec les consignes du système mondialisé dominé par le capital pour être «apprécié» à sa juste valeur. Comment dans ces conditions permettre à l'exportateur de s'exprimer et livrer le fond de sa pensée ? Il existait bien sûr aussi quelques revues d'entreprises paraissant épisodiquement et de manière irrégulière. Ces dernières comme la revue Exporter du Cepex et le revue La Tunisie Economique de l'Utica prenaient parfois un ton critique et à cause de cela ou pour que d'une manière générale le modèle de la pensée unique ne soit plus dérangé ou remis en cause, on a pris soin de les supprimer. Et l'audiovisuel ? Parle-t-il d'export ? Outre les quelques débats de l'ex-TV7 rébarbatifs en diable où les orateurs se morfondent en discours ennuyeux et monocordes, le paysage de l'audiovisuel est complètement désert. Dernièrement, le paysage de la radio s'est bien enrichi avec Express FM de quelques discussions sur l'économie, mais c'est toujours la langue de bois qui prédomine. Voila pour l'état des lieux de la communication en matière d'exportation. Maintenant que faut-il faire pour changer tout cela dans ce climat où les senteurs du jasmin se dégagent ? En matière de séminaires et de forums, il faut rompre avec les longs discours. En cas de thème sur l'export, le panel doit s'effacer pour laisser le public parler et n'intervenir que si une question est posée. Un modérateur pourrait pour commencer prendre la parole pendant cinq ou dix minutes pour présenter le thème mais ensuite basta ! C'est le public qui doit parler et débattre. Ce type d'organisation des débats existe même dans les pays du Sud comme la République Sud-Africaine et, à ce titre, il faut rappeler que la liberté d'expression a atteint là – et en particulier dans le domaine de l'économie — un niveau qui nous dépasse de loin. Autre chose, les débats, même s'ils y sont énergiques, ne se traduisent pas par des pugilats où par des échanges verbaux, l'impolitesse et la goujaterie prennent le dessus. En Tunisie, les horizons se présentent sous de bons auspices mais un long chemin nous attend pour apprendre à débattre. En tout cas, ce avec quoi il faut surtout rompre, c'est la politisation du débat économique. Il faut faire table rase des mentalités anciennes où on exhibe longtemps les points positifs et l'énumération continuelle des apports de l'Etat; s'il y a débat, c'est sur les points négatifs qu'il faut se concentrer. Il faut, quant au fond, apprendre au niveau de l'export à débattre de l'approche culturelle des marchés extérieurs. Il ne suffit pas que le produit soit conforme pour qu'il soit acheté mais il faut créer dans les rapports avec l'acheteur un climat d'empathie au cours duquel on s'attache à mieux connaître le partenaire, sa culture et son histoire… Pour les revues d'export, il faut libéraliser le marché et abandonner cette formalité du dépôt légal. En fait, il n'y a, selon la loi, rien de contraignant dans le dépôt. Il suffit de déclarer l'ouverture d'un journal contre la remise d'un récépissé, mais en pratique la remise de ce dernier est bloquée par le ministère de l'Intérieur, et il faudrait supprimer cette mauvaise pratique. Il faut aussi dorénavant interdire à l'Atce d'intervenir en matière d'octroi de financement des annonces publicitaires. Que l'annonceur soit public ou privé, il doit être libre de traiter avec quiconque il le veut et seul son intérêt doit le guider pour cela. Des plages horaires plus importantes doivent être accordées aux débats à la télévision et à la radio relatifs à l'export. Ces derniers doivent devenir moins «guindés» et moins directifs. Il ne doit pas non plus être interdit de parler en franco-arabe. Les opérateurs économiques peuvent s'exprimer comme ils l'entendent et cela vaut aussi pour les débats publics dans les séminaires. Si un étranger participe, il faut prévoir la traduction simultanée.