A chaque période de crise en Tunisie, la référence va toujours vers la Constitution. Aujourd'hui, c'est vers l'article 70 qu'on s'oriente. C'est dire que pour faire face à l'épidémie du coronavirus, le gouvernement a pris une batterie de mesures d'accompagnement économique et social. Cependant et pour plus efficacité, Elyes Fakhfakh revendique l'activation de l'article 70, une demande qui ne cesse de susciter la polémique. La Tunisie est bel et bien passée à la phase 3 de l'épidémie du coronavirus Covid-19. Des clusters sont en train de se former dans les plus grandes villes du pays. La situation se corse et le message alarmant de Nissaf Ben Alaya, aujourd'hui, annonce déjà la couleur de la période à venir.
L'Etat a, déjà, annoncé le confinement général. Le gouvernement est en train de mettre en place tous les dispositifs nécessaires pour l'appliquer, puisqu'il s'avère, d'après les expériences comparées, que le confinement demeure le moyen le plus efficace pour contenir le virus, à condition, qu'il soit strictement respecté. Cette décision de confinement a été accompagnée par une série de mesures économiques et sociales annoncées par le chef du gouvernement, lors d'un discours à l'adresse du peuple tunisien. Cela dit, durant le même discours, Elyes Fakhfakh a appelé, bien qu'à demi-mots, le Parlement à activer l'article 70 de la Constitution pour lui permettre d'agir en urgence et pouvoir répondre avec efficacité aux exigences de la période actuelle. La question de l'activation de l'article 70 de la Constitution circulait depuis quelques temps et selon les bruits qui courent, elle serait l'un des points de discordes entre le chef du gouvernement, et le président du Parlement Rached Ghannouchi. Mais que dit le 2ème paragraphe de cet article ? « L'Assemblée des représentants du peuple peut, au trois-cinquième de ses membres, habiliter par une loi, le chef du gouvernement, pour une période ne dépassant pas deux mois et, en vue d'un objectif déterminé, à prendre des décrets lois, dans le domaine relevant de la loi. À l'expiration de cette période, ces décrets lois sont soumis à l'approbation de l'Assemblée. Le régime électoral est excepté du domaine des décrets lois », c'est ce qu'indique, exactement, l'article de cette période. Ainsi, en vertu de cet article de loi, Elyes Fakhfakh n'aura plus recours au Parlement durant deux mois, et pourra gouverner toute cette période avec la promulgation de décrets lois.
Mais les avis et les positions sont mitigés à ce niveau. Aujourd'hui, le ministre d'Etat chargé de la Fonction publique, de la Réforme administrative et la Lutte contre la corruption, Mohamed Abbou, a indiqué que l'activation de l'article 70, est importante durant cette période. « Personne ne peut prédire le développement de la situation. L'Assemblée peut ne plus se réunir durant la période à venir, et même le vote à distance est une mesure controversée et on ne peut vraiment dire si c'est légal ou pas. Certaines mesures nécessitent des lois parlementaires, comme l'amnistie fiscale et le report du paiement des impôts. La situation exige de léguer le pouvoir au gouvernement pour agir avec efficacité face à cette épidémie ».
Cette position en faveur de l'activation de l'article 70 a été partagée par plusieurs parties dont le frère du président de la République, Naoufel Saïed qui a publié plusieurs statuts sur sa page personnelle et même accordé une déclaration au site officiel d'Al Jazeera dans ce sens.
Toutefois, l'activation de cet article ne fait pas l'unanimité. Le député Ennahdha, Sahbi Atig n'était pas en faveur de cette démarche, indiquant qu'elle est refusée puisque, selon lui, il faut préserver le régime politique fixé par la Constitution, tout en évitant la centralisation et le pouvoir individuel. Il a, également, assuré que les députés seront aux premiers rangs pour leurs électeurs et feront les sacrifices nécessaires.
Toujours dans le même contexte, le chef du bloc parlementaire de Qalb Tounes, Oussama Khelifi a estimé que le chef du gouvernement doit présenter les arguments justifiant son appel à l'activation de l'article 70. « Nous allons réagir avec les justifications de Fakhfakh, mais il n'a pas besoin de plus de pouvoir puisqu'il bénéficie de tous les mécanismes lui permettant de mettre en place les mesures qu'il a prises. Il a aussi la confiance du Parlement, pourquoi aurait-il besoin de plus de pouvoir ? ».
Il est clair que la guerre des prérogatives a atteint des niveaux élevés entre les trois présidences. Chacun des trois présidents essaye de tirer un maximum de profit des prérogatives qui lui sont conférées et leurs champs d'action, notamment, durant cette période de crise. Or, il serait très difficile, voire quasi-impossible, que le mouvement Ennahdha puisse céder le pouvoir législatif à Elyes Fakhfakh. La relation entre les deux parties n'étant pas au beau fixe, et on aurait du mal à voir Rached Ghannouchi léguer tout le pouvoir à Elyes Fakhfakh, lui qui a tant bataillé pour la mise en place du régime parlementaire en Tunisie.