Les plus de 65 ans ne sont pas considérés par les mesures du confinement ciblé, a annoncé le gouvernement. Un déconfinement qui ne dit pas vraiment son nom et qui exclura les seniors des mesures prises lors de ses premières phases. Les plus de 65 ans, personæ non gratæ pour la société tunisienne ? La question posée à Lobna Jeribi par Elyes Gharbi pouvait sembler anecdotique. Elle ne l'est pas tant que ça. Hier, jeudi 30 avril 2020, l'animateur de Midi Show avait posé une colle à Lobna Jeribi. Celle-ci, visiblement embarrassée par la question, n'a pas su répondre. « Est-ce que le président de l'ARP peut continuer à exercer ses fonctions dans le cadre du confinement ciblé alors qu'il est âgé de plus de 65 ? ». Gros moment de gêne sur le plateau de Mosaïque Fm, la ministre s'est contentée de sourire. Agé de 78 ans, Rached Ghannouchi est en effet le seul des trois présidents tunisiens à avoir plus de 65 ans, avec un président de la République âgé de 62 ans et un jeune chef du gouvernement qui n'a que 48 ans. Si dans les faits, Rached Ghannouchi continuera à assurer ses fonctions, compte tenu de l'importance de sa mission à la tête de l'ARP, tous les seniors n'auront pas cette chance.
La population tunisienne est plutôt jeune et les plus de 65 ans représentent 8,4% de la population tunisienne, soit presque un million de citoyens, selon les chiffres de la démographie tunisienne de l'Institut national de la Statistique en 2018. Une donnée démographique qui, selon les spécialistes, a grandement contribué à « alléger » le nombre de cas de contamination par le Covid-19 en Tunisie, contrairement à d'autres pays à la population vieillissante comme nos voisins italiens ou français par exemple. Après 6 semaines de confinement, la Tunisie ne compte, en effet, que 994 cas confirmés sur un total de 22.957 prélèvements, ainsi que 41 décès.
D'après l'Institut tunisien d'études stratégiques (ITES), le nombre de retraités en Tunisie a doublé entre 2004 et 2018 pour se situer à 13%. Il devra atteindre les 18% dans 10 ans. Un chiffre qui place les plus de 65 ans dans une situation économique plutôt difficile compte tenu de l'inflation, du coup élevé de la vie et de la dégradation de nombreux services destinés aux seniors.
Par ailleurs, la retenue d'un jour de salaire pour l'ensemble des employés du privé et du public n'a pas épargné les pensions de retraite. Une mesure qui a été très critiquée par de nombreux Tunisiens y voyant une « humiliation » et « un abus » pour de nombreux retraités à la situation déjà fragile. Abdelmajid Khantouche, président de l'Association tunisienne des retraités, avait d'ailleurs déclaré dans une déclaration médiatique datant de fin 2019 que 163 mille retraités vivent dans la pauvreté. Les mesures de confinement ciblant les seniors ont évidemment été instaurées dans le but de les protéger étant considérés comme une population fragile. Ces mesures pourraient, cependant, se retourner contre eux et conduire à un état de détresse qui pourrait leur être fatal. Dans plusieurs pays à la population vieillissante, les professionnels et les associations de patients ont insisté sur l'importance de rétablir des liens familiaux notamment dans les établissements prenant en charge les retraités. C'est le cas de la France par exemple, qui a ré-autorisé, mi-avril, les visites aux pensionnaires des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), en respectant des consignes de sécurité strictes. Une décision saluée par l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) qui a appelé à «un juste équilibre entre santé physique et santé psychique des personnes âgées». Dans ces pays, on a alerté contre un « syndrome de glissement» pouvant toucher les personnes âgées, dont la souffrance morale ne devrait pas être sous-estimée lors du confinement. Mohsen Marzouk, secrétaire général de Machrouû Tounes, avait appelé hier jeudi 30 avril, dans un communiqué à « un soutien spécial pour les retraités et les plus de 65 ans qui se sont dévoués pour servir leur pays et bâtir son économie ». « Machrouû Tounes estime que cette frange de la population mérite un soutien particulier, en matière de protection du Covid-19 mais aussi de l'accès aux soins pour d'autres maladies, oubliées en ces temps de pandémie […] Nous entendons ces derniers temps de nombreux récits de personnes âgées qui sont décédées chez elles de peur de négligence dans les hôpitaux ou pour des raisons psychologiques liées à l'isolement ou à la distanciation sociale ». Le parti a ainsi appelé à permettre aux plus de 65 ans d'avoir le choix de rester chez eux ou de sortir en respectant les mesures de sécurité sanitaire « étant donné que plusieurs seniors restent des citoyens actifs dans la vie économique de part certaines professions libérales ». Il a aussi insisté sur la nécessité de leur « offrir plus de facilité dans leurs tâches administratives et quotidiennes via des mesures ciblées ». Si le ministère des Affaires sociales a démenti une hausse anormale du nombre des décès dans les rangs des retraités de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS) entre le 6 et le 21 avril 2020, leur situation reste cependant inquiétante.
Grands oubliés de cette crise du Covid-19, les personnes âgées sont aussi fragiles face à la maladie que face aux mesures qui pourraient en découler. Si la priorité a certes été donnée à la situation économique et aux entreprises en difficulté, les seniors pourraient eux aussi être les grands perdants de cette pandémie. « Mourir du Covid ou mourir de chagrin », un choix difficile pour ces nombreux citoyens qui devront encore être isolés pour les jours à venir.