Un langage chorégraphique sous l'effet du numérique. Une fusion de corps et de leurs « clones » dans un décor réel et virtuel à la fois. Le tout est joué avec la participation de deux danseurs. Portés par des capteurs sans fil, Florence Viennot et Christophe Beranger, du centre chorégraphique national-ballet de Lorraine (France), dialoguent entre eux et avec leurs copies sous l'effet de la High Tech. Pendant 47 minutes, les yeux du public, pour la majorité, enfants et jeunes, sont rivés vers la scène du théâtre municipal de Tunis, transformée, grâce au pouvoir magique de la technologie, à un écran 3D. De la danse-cinéma ou de la danse-vidéo, c'est ce qu'a offert le spectacle hybride de la chorégraphe belge Michèle Noiret « De deux points de vues », présenté vendredi soir en guise d'ouverture de la huitième édition des rencontres chorégraphiques de Carthage, qui a choisi cette année de faire dialoguer la création artistique avec le logiciel informatique. Basé sur des enregistrements vidéo et sonores, le spectacle se déroule en présence réelle d'un duo, homme et femme. Outillés par tous les ingrédients d'une représentation où on retrouve à la fois de la danse, du cinéma, de la poésie, de la romance, de l'harmonie, de la puissance, du rythme et du mouvement. Et beaucoup d'intrigues et de suspens transportant le public vers un labyrinthe d'images virtuelles superposées à deux corps réels et des variations sonores, parfois terrifiantes, pour de nombreux petits enfants, qui n'ont pas pu retenir leurs larmes. Bref, une diversité de paramètres a servi à un travail de synthèse réussi à la perfection, entre le réel et l'imaginaire, pour une parfaite illustration de la rencontre art-technologie. Cependant, les mouvements des danseurs se fondent dans le décor des caméras disséminées sur le plateau et des outils interactifs à distance. Réels et inventés, les corps et leurs copies dansent. Une danse par la technologie. Aucune frontière entre réalité et illusion. A se demander alors si on est face à une création artistique ou plutôt à un jeu de logiciel performant? La palette spectaculaire de moyens techniques qui vient surpasser, à plusieurs reprises, la technique corporelle du danseur-acteur principal dans toute création artistique-, semble plaire, surtout, aux « technophiles », avides d'images et d'instants de lyrisme, qui se numérise. En effet, dans cette nouvelle rencontre choré-technologique, le double du danseur réel devient le personnage chorégraphique. La synchronisation des mouvements des jambes, des pas, lents ou rapides, est habilement orchestrée par le jeu de lumière. Et la fantaisie naturelle de la trajectoire de faire dompter son corps se fait sentir, seulement pendant 7 minutes. Qu'en est-il donc de la notion de corporalité unique dans l'acte naturel et pur de danser? A l'ère du numérique, « Et de deux points de vue » invite à réfléchir à cette question. S'agit-il d'une création artistique, d'une fiction ou d'un nouveau mode de représentation chorégraphique? Certes, le spectacle serait, pour les uns, stupéfiant, car toute technique ultramoderne est magique. D'autres, seraient, peut-être inquiets, de voir la danse, reconstituée par la technologie et de voir les artistes ressembler à des infographistes. L'effet du virtuel est, de toute évidence, spectaculaire car il éblouit la vue. Mais la danse est un poème dont chaque mouvement est un mot. Et c'est cet art de modeler le corps, qui charme les yeux et berce l'âme.