Le rideau est tombé sur la 15e session des Journées théâtrales de Carthage, qui se sont déroulées du 6 au 13 janvier. Elle a célébré à sa manière la révolution et rendu hommage à la femme créatrice. Sur le plan de la sélection des pièces, la session a été riche en enseignements esthétiques. En effet, les JTC ont été le lieu idéal où se sont exprimées les diverses tendances théâtrales aussi bien arabe, africaine qu'international. La session a été marquée, notamment, par des pièces venues d'Europe, à l'instar de Momentum des Pays-Bas, Urgent crier de France, Ahlan wa Sahlan de Belgique ou encore Dominant Powers d'Allemagne. Ces œuvres sont à la pointe du progrès technique avec leur relation aux nouvelles technologies. Urgent crier ! de Phlippe Caubère est une véritable leçon de théâtre très applaudie aussi bien par le public que la critique. Extrêmement dépouillée et accompagnée d'images et de sonorités de la guitare, ce solo est une apologie de la poésie et de l'âme méditerranéenne dans une langue française très étudiée. Dominant powers de Claudia Bosse est la dernière partie d'un triptyque entamé avec Vampires du XXIe siècle. Cette œuvre installe un paysage de malaise et inaugure un théâtre hybride d'un format tout à fait original. Dans cette œuvre, les spectateurs et les acteurs sont impliqués ensemble. Ils se déplacent dans un système spatial décentralisé avec des lieux sonores et des générateurs de sons. Les spectateurs se retrouvent dans un labyrinthe d'espaces et d'informations. Dominant powers se présente comme un vaste assemblage aléatoire de fragments de textes, de documentaires et de chorégraphies. Elle relève de ce qu'on appelle l'œuvre de circulation. Ahlan wa Sahlan de Christophe Cotteret raconte le monde en train de se faire dans l'environnement technologique. Il s'agit du quatrième mouvement d'une œuvre qui en comprend sept. Sept spectacles indépendants regroupés dans le cadre d'un projet Liban qui se veut tout d'abord un travail sur l'image. Comment s'emparer des signes de l'actualité ? Comment aborder sous les angles politiques et philosophiques les conflits contemporains au Moyen-Orient dont le Liban a été pendant 60 ans la caisse de résonance ? La démarche de ce projet consiste à s'emparer du sens de l'actualité, de ses icônes et mécanismes ré-introduire dans un espace de diffusion différent, celui du spectacle vivant. Ainsi, les spectateurs se trouvent placés dans une fonction autre que celle du consommateur d'actualité. C'est en quelque sorte du théâtre politique contemporain qui se structure pour accoucher d'un théâtre documentaire, voire d'une stratégie esthétique qui documente, par le théâtre, la situation politique actuelle. La majorité des spectacles de ces JTC 2012 évoluent, soit dans une sphère intimiste, soit dans le déploiement nouveau impliqué par le recours aux nouvelles technologies. Cette double identité est visible dans plusieurs pièces tunisiennes dont Facebook de Raja Ben Ammar ou Tu vois ce que j'ai vu de Anouar Chaafi. Facebook est une plongée dans l'univers de trois personnages liés par un hasard objectif. L'histoire se passe le jour d'une fête nationale lorsqu'une famille se prépare à la sortie collective de la maison pour assister à un défilé de célébration. Trois niveaux de narration structurent la pièce. Le premier niveau est réaliste avec l'installation de la situation et des personnages. Le second niveau repose sur la vidéo et une fresque animée qui nous plonge dans une Tunisie des régions ou de la publicité. Quant au troisième niveau, il est celui des comédiens-danseurs qui font le lien entre les deux autres niveaux. Tu vois ce que j'ai vu, le spectacle de clôture, reprend dans un découpage inédit des extraits de textes de quatre recueils de poésie d'Anouar Bouagila. Le metteur en scène se réfère au travail de mime et à une gestuelle innovante. La pièce appartient au genre de danse-théâtre, ainsi qu'au travail de jonction entre les langages du cinéma et du théâtre. Dans cette quête de l'ici et maintenant, Anouar Chaafi fait également appel au virtuel. Plusieurs autres œuvres sont restées dans la tradition textuelle du théâtre. Certains monodrames ont montré des comédiens déployant leur talent de performers. D'autres pièces ont eu recours aux textes de références. En tout cas, les nouvelles tendances sont apparues dans plusieurs créations arabes et africaines. De nombreux metteurs en scène ont fait du travail sur le corps un impératif important. D'autres, surtout en Afrique, sont parvenus à moderniser l'héritage culturel et à l'insérer dans une dynamique scénique mêlant masques et rituels ancestraux avec des thématiques innovantes. Dans le monde arabe, le théâtre connaît un double déploiement avec, d'une part, des artistes en synergie avec le théâtre occidental contemporain, et d'autres sont plutôt tournés vers une approche patrimoniale. De même, le retour au répertoire a suscité de belles découvertes. Les théâtres arabe et africain ont démontré qu'ils sont en phase avec les révolutions et aussi avec le renouvellement des approches esthétiques.